L'AFRICAINE

 

C’est le nom du sous marin sur lequel j’ai embarqué pendant quatre ans, trois mois, et vingt trois jours, sur un engagement de cinq ans.

 

La corvée de patates

 

 

Remontons dans le temps.

 

En 1952, je venais d’avoir dix-sept ans, en pleine révolte comme beaucoup de petits cons de cet âge. Je travaillais chez Alsthom, à l’atelier de l’entretien électrique, je suivais les cours du soir. Je voyais la date du CAP arriver et je savais que je n’étais pas prêt.

 

J’étais fainéant, pas con, mais fainéant ! Aussi que faire ?

 

En révolte à l’usine, en révolte avec la famille, ça allait être ma fête à tous les coups. Dans ma petite tête ça n’allait plus très bien, je ne savais plus par quel bout prendre mon problème, quand une idée lumineuse me passe par la tête « la marine » pourquoi pas !

 

Ma mère aux cent coups,"Ho… là… là… mon fils qui va partir dans la marine, qu’est-ce qu’il va devenir ?". Bref, je passe sur les détails. Prendre la décision pour aller m’engager n'a pas été simple. Je reconnais que j’ai un peu forcé la main de ma mère.

 

Colmar, centre d’engagement, tout ça c’est ok, me voilà dans le train pour Bordeaux, CFM (Centre de Formation Marine) à Hourtin, en route pour l’aventure, si je suis rebelle, la marine va faire le nécessaire pour me faire comprendre ma connerie.

 

Engagé DELGRANGE, matricule n° 2279 T 52.

 

 Pour commencer me voila avec la boule à zéro, j’ai eu du mal à accepter, mais on était tous pareils et dans ce cas là, ça passe mieux.

 

Les tests, je voulais faire les cours d’électricien, pour continuer mes cours  du soir,  pas question. Je devais faire les cours de timonier. Mon instruction faisait de moi un parfait timonier, j' avais le niveau quatre, pas plus, pas moins. Ils devaient avoir besoin de timoniers, de toute façon je ne pouvais que suivre les ordres. Le rebelle commençait à comprendre !

 

Cap Brun à Toulon, école des timoniers, située sur les hauteurs de Toulon, le coin n’était pas mal, mais je n’ étais pas là pour admirer le paysage, six mois, quand on dix sept ans, six mois c’est long !

 

Pendant cette période de cours on nous faisait des exposés, des conférences, pour nous guider dans notre choix d’embarquement.

 

Je me rappelle bien nous étions dix huit volontaires pour les sous marins. Mon esprit d’aventurier commençait à se faire remarquer ! Le grand hic c’est que peu de temps avant qu’on ne reçoive notre diplôme de timonier, il y a eu un drame épouvantable.  La  Sibille, un sous marin de neuf cent tonnes n’a pas refait surface. Cinquante marins disparus…triste pour toute la marine !

 

Et bien après ce coup là nous n’étions plus que deux volontaires. Les autres avaient déclaré forfait.

 

Me voila arrivé à la base sous marine de Toulon, fier comme un petit banc avec mes galons rouges  sur les manches. A part un diplôme de natation, je n’avais jamais reçu de diplôme, d’où mon état euphorique. Je passe ce brevet de timonerie quand même. On me désigne ma carrée, mon casier où je dois ranger mon sac avec toutes mes affaires. Je fais ça correctement pour ne pas avoir de reproche dès le premier jour. Tout bien…! Je venais de finir quand un patron vient me chercher, « il aurait pu venir avant que je déballe mon sac », pour m’emmener sur L’Africaine, un sous marin de neuf cent tonnes, cinquante quatre mètres de long, cinquante trois hommes à bord, et là je suis resté, quatre ans, trois mois et vingt trois jours embarqué à bord. Logiquement je n’aurais jamais dû rester plus de dix huit mois sur le même bateau… va comprendre…!. Les Pachas successifs  m’avaient à la bonne, ce qui n’était pas le cas des O2, « officier en second ».J’ai toujours été en bagarre avec les O2, pas d’explication à ce sujet. J’en ai connu quatre, trois qui ne me faisaient pas de cadeaux, mais me foutaient la paix. Par contre le quatrième, le dernier en fait, jusqu’au dernier jour il m’a allumé, consigne sur consigne… bref un sale con, j’en reparlerai plus tard.

 

Je me suis engager fin mai 1952, après le C.F.M et le Cap Brun, c’est à dire sept mois après, me voila embarqué sur un sous marin, la grande peur de ma mère…!

 

Arrivé à bord, pas triste… Il y avait des anciens qui avaient fait la guerre dans les sous marins.  Ils m’attendaient, le petit jeune tout frais moulu sorti de l’école…Il fallait le mettre aux pas. J’ai fait le dos rond, et ma foi… je ne m’en suis pas trop mal sorti, j’ai gagné la sympathie de l’équipage .

 

 

 

  Ce sous marin est au musée de la marine à Saint Nazaire, ce n'est pas l'AFRICAINE malgré sa ressemblance.

 

 

Première impression en montant à bord : un peu stressé… normal merde !, c’est quand même un sous marin, hum… pas grand l’intérieur.  En passant par le panneau à l’avant, je me retrouve au poste avant et je vois le cul des quatre lance torpilles. Indéfinissable comme impression, je me sentais devenir grand et tout petit en même temps : grand… par ce que j’entrais dans un truc d’homme, et petit… devant cette machine qui  avait bouffé cinquante bons hommes sur la Sibille. J’avais beau jouer les grands, j’y pensais quand même à la Sibille qui avait coulé deux mois auparavant.

 

Bon, me voila donc à bord comme timonier, mon boulot consistait à m’occuper des cartes marines quand j’étais à terre, et en plus de m’occuper des vivres à embarquer pour les sorties en mer, ce n’était pas le plus désagréable du boulot.

 

En mer j’étais toujours au cul du Vieux à la passerelle. Je devais gérer la passerelle : cartes, jumelles, règle à tracer, et tout le matériel de navigation. J’ai vite été à l’aise pour ce boulot là.

 

Il faut quand même que je détaille l’Africaine : pont en bois… et oui pont en bois, le poste avant, neuf couchettes, les trois du bas en tiroir, qui servaient de siège quand on bouffait, bien sûr… toujours dégueulasses, et évidement, c’est les derniers embarqués qui ramassaient ces couchettes là, en face  les pompes trente et soixante tonnes. Il faut aussi que je dise que si on écartait les bras entre les couchettes et les pompes, on touchait des deux cotés, ça donne une idée de l’espace vital, les quatre tubes lance torpilles dans le fond à l’avant du poste. On se retourne : panneau étanche, après, le poste des bœufs, (une dizaine de sous officiers mariniers). On continue : le carré des officiers, en suivant, à gauche la piaule du pacha, en face le poste radio, après le central avec les barres avant et arrière, le gyroscope et l’échelle pour monter au kiosque. En suivant, la tranche hygiène avec la cuisine, les frigots et les WC, plus loin les diesels, les électriques, panneau étanche et le poste arrière vingt bons hommes.

 

Sur le pont deux tubes canon lance torpille, le kiosque, et à l’arrière deux tourelles lance torpille En fait l’Africaine pouvait embarquer dix torpilles. Je n’en ai jamais vu plus de quatre à bord, et un canon de 88 sur l'avant de la baignoire (ce canon a été démonté en 1954 pour faire un sas commandos). Dans le kiosque : la barre de direction, la table traçante, le périscope, voila on a fait le tour du bateau. Pas de chnorkel !, un chnorkel c’est un tube qui prend l’air en surface en immersion périscopique pour les diesels. On  est loin des sous marins actuels !

On ne s’en plaignait pas de ne pas avoir de chnorkel sur l’Africaine, car l’équipage de ceux qui l’avaient avait tous des problèmes d’oreilles.

 J’explique : à la moindre vague plus forte que les autres ça recouvrait le chnorkel qui se refermait bien sûr, et les diesels pompaient dans le bord… bonjour la dépression ! Les gars avaient vite les oreilles en chou fleur, les barreurs étaient surveillés à ne pas perdre l’immersion, sinon ils avaient tout l’équipage sur le dos.

 

 

Le plaisir de la cigarette en surface

  

Parlons un peu des escales : Toute la méditerranée en long en large et en travers.

 

Particulièrement l’Afrique du Nord, Oran, Tanger, en remontant le fleuve Lyautey, Agadir, en Tunisie : Tunis, Fez, Carnac, Bizerte, Malte. En Egypte : le Caire, Port Saïd, en Italie, Laspésia;  Nice, Canne, Marseille, Gibraltar. En remontant l’atlantique : Nantes, Lorient, Mer du nord .

 

Pour naviguer, c’était surtout les secteurs au large de la Corse. Ces secteurs étaient bien déterminés. Sur les cartes, nous, on naviguait à cinquante mètres d'immersion, et les destroyers de l’escadre faisaient des attaques sur nous. Quand ils nous trouvaient, ou croyaient nous avoir trouvé, ils nous balançaient une grenade grosse comme le poing sur la tête. Un jour l'une de ces grenade a explosé dans le kiosque. Ils avaient vraiment fait mouche! Tout a déclanché à bord. On imagine ce que ça aurait donné si ça avait été une grenade de deux cents kilos en temps de guerre !

 

Quand ils faisaient mouche, on larguait une bombette qui allait teinter la surface à la fluorescéine. La couleur de la fluorescéine déterminait l’acte… si c’était bon ou pas bon .

 

Une bombette jaune :«  vous m’avez touché »

Deux bombettes jaunes : « vous m’avez manqué »

Trois bombettes jaunes : «  vous avez complètement raté la cible »

Une bombette rouge signifiait :« écartez vous!  j’ai un problème!  je vais faire surface !»

Deux bombettes rouges : « revenez!  je lâche des survivants! venez les récupérer !»

Trois bombettes rouges : «  c’est la fin !  je ne peux plus rien faire! »

 

Au cour d’un exercice, le Pacha donne l’ordre à l’arrière de lancer une bombette jaune, on entend la bombette partir , et puis on entend bien le destroyer s’éloigner. Le Pacha  tire la conclusion : « Il nous a perdu !  Lancez une deuxième bombette jaune ça lui apprendra !». A ce moment là on entend toute l’escadre arriver, ça grouillait au dessus de nous.

 

Le Pacha : « Mais  qu’est ce qu’ils foutent ces cons là..!  lancez une troisième bombette jaune! ».

 

Il attend un moment et prend la décision de quitter le secteur et fait surface en dehors de la smala. Là ! C’était l’apothéose. Aux signaux optiques, on nous attaquait de partout. Le navire amiral, en l’occurrence "Le Lafayette",  "Quel est votre problème pour avoir lancer trois bombettes rouges ?"

 

Après recherches, le problème venait de l’arsenal. La caisse était estampillée jaune… en fait, c’était des rouges,. Je n’ai pas su, mais à l’arsenal il y en a qui ont du la sentir passer.

 

En rentrant à Toulon,on nous appelait le "bateau  rouge", tous les sous marins sont peints en noir.

 

En mille neuf cent cinquante six , la France et L’Angleterre avaient déclaré la guerre à l’Egypte, par ce que NASSER avait annexé le canal de Suez.

 

Ouais…! tant qu’on faisait des exercices en mer on avait des torpilles à tête jaune, c’était bien. On naviguait, quoi !

Un truc que j'ai oublié de dire : Les sous marins du type Africaine mesuraient quatre mètres de hauteur, ce qui veut dire qu'au moindre clapotis, les vagues passaient par-dessus bord, et que les veilleurs en ramassaient plein la "tronche", au point d'être obligés de s'attacher à la passerelle pour ne pas être enlevés par un paquet de mer.

 

Mais un jour on a vu une barge de l’arsenal arriver avec quatre torpilles à tête noire. On savait que les torpilleurs devaient mettre deux grammes cinq de fulminate de mercure dans la pointe et c’était bon pour faire exploser les 250 kg de TNT, suffisant  pour envoyer  n’importe quel bateau par le fond.

 

Ce n’était plus de la rigolade ! On était basé à Bizerte. On se relayait avec L’Astrée, un autre sous marin du même type pour escorter le porte avions Lafayette au large de L’Egypte.

 

Je me rappelle que j’avais coupé un bout d’un manche de gaffe et que je le sculptais. J’en ai fait un petit marin, que j’ai toujours d’ailleurs.

 

Au moment de l’appareillage, j’étais à la passerelle et je sculptais mon bout de bois. Tout le monde savait ou on allait mais personne ne l’avait dit. Il en a un du quai qui me voit avec mon bout de bois et me demande ce que je fais ,  "Je sculpte la tète à Nasser !". Le Pacha m’a passé un savon. Je n’avais pas à dire où on allait. C’était le secret de polichinelle, mais je n’avais pas à dire ça.

 

Finalement la guerre, au bout de trente trois jours, on n’en parlait plus et on a pas tiré une seule torpille et c’est bien comme ça !

 

Fort de ce fait, d’avoir fait la guerre, un copain ( Doudou ) Président des Anciens Combattants de moins de vingt ans me dit : "Fais ta demande de carte d’Anciens Combattants !". Après x discutions me voila au bureau des Anciens Combattants.

 

La secrétaire me dit : "Dommage, il faut quatre vingt dix jours pour prétendre à la carte et la guerre d’Egypte n’a duré que trente trois jours !".

 

Moi "Bon on laisse tomber", Elle "Mais non… vous avez été en Algérie ?" moi "Oui" elle "Et bien soulignez L’Algérie !"

Ok ! je fais ce quelle me dit et je n’y pense plus.

 

Deux ou trois mois plus tard, je reçois :  La reconnaissance  de la nation pour ma participation à la guerre en Tunisie. Ca ne fait vraiment pas sérieux…. la guerre dans la sable avec un sous marin…! En plus, je n’ai pas le droit à la carte, mais je peux porter la médaille commémorative.

 

Il y a de vrais combattants qui ont participé à la vraie guerre, qui ont tiré au fusil, et qui n’ont jamais reçu de médailles…!

  

Prise de commandement : le Pacha descendant présente l'équipage au Pacha montant .Tout L'équipage est en grande tenue sur la plage avant. Je me souviens bien de la montée à bord du Commandant  PIERRIE et qui passe en revue chaque membre de l'équipage. Arrive mon tour, le Pacha me présente et dit : "Jésus…! tête de lard… mais tu peux compter sur lui !".

Le Pacha descendant salue, se retourne et s'en va. Là ! le Pacha PIERRIE commande : "Au poste de manœuvre !". On était en grande tenue… faut pas l'oublier…!. Nous voila en mer, nouvel ordre de la passerelle : "Alerte…! 80 mètres sans mouvement d'eau ! ". On n'avait jamais fait ça. Pour la compréhension, notre immersion de sécurité était à 80 mètres. A cent mètres, c'était la limite de L'Africaine. Le patron du central demande confirmation de l'ordre.

 

"OK" du kiosque, "confirmation … c'est bien 80 mètres sans mouvement d'eau".

 

A 80 mètres le patron de central fait son mouvement d'eau afin d'équilibrer le bateau. Le nez  est bien remonté, mais l'arrière a continué à descendre. A combien il est descendu,  personne ne peut le dire. A un moment donné, un gros bruit dans la superstructure….l'ordre arrive : "surface aux rapides !".

 

 En surface, les mécanos font des recherches, le patron du pont annonce : "Nous avons enfoncé le  silencieux  tribord !". Ordre du pacha : "Barre à gauche retour à Toulon !". Je n'ai pas su, mais il a du se faire remonter les bretelles. Cela nous a fait deux mois de carénage. Ce qui n'était pas pour nous déplaire.

 

On avait suivi un entraînement pour débarquer des commandos devant Maison Carrée près d’Alger. Il y avait une espèce de respect mutuel entre eux et nous. Eux, n’auraient pas voulu vivre dans une boîte en ferraille comme nous, et nous, on aurait pas voulu se mettre à l’eau par tous les temps et de nuit …bref chacun chez soi !

 

Le Pacha me demande les cartes d’Afrique du Nord… les détaillées.  Ce que je n’ai pas dit au sujet de la timonerie, c’est ce que je devais faire tous les mois. C’était de mettre à jour les cartes avec l’avis aux navigateurs que nous envoyait l’Amirauté. Cela consistait à signaler sur la carte ce qui avait changé, épaves, bancs de sable, enfin  tout ce qui était susceptible de guider la navigation. Il y avait justement des modifs sur les cartes que me demandait le Pacha, pas d’affolement… j’avais fait mon boulot…mais pas fier quand même..!

 

Nous voila donc à bord avec les commandos, l’exercice consistait à débarquer les nageurs de combat à minuit sans se faire remarquer… bien sûr. Pour assurer le coup le Pacha décide de se poser sur un lit de roches répertorié sur la carte, au moment de la manœuvre tout va très bien, "Bravo aux barreurs !" annonce le Pacha, on se pose vraiment en douceur. Une journée posée au fond, à quatre vingt dix mètres, à attendre que ça se passe.

 

Le lendemain à minuit : "Aux postes de combat !". J’étais dans le kiosque avec le Pacha, toujours au cul du Vieux bien sûr, les jumelles infra rouge sur le ventre. On devait tester les jumelles, car c’était du matériel tout nouveau.

 

"Allez… on va y aller doucement , chassez deux kilos a l’avant !" ça ne bouge pas… ,"Chassez deux kilos à l’arrière ", ça ne bouge pas… "Chassez six kilos à l’avant", rien…"Six kilos à l’arrière", toujours rien… , "Moteur avant un" ,rien…, "Arrière un", rien…!

 

 je voyais le visage du Vieux. C’était visible qu’il commençait à se faire des cheveux blancs. Je ne voyais pas l’indicateur de profondeur, mais je voyais sa tête. L’inquiétude commençait à me gagner, comme tout l’équipage !

 

"On est collé!, moteurs avant deux… moteurs arrière deux" ,rien…!

 

 En dehors des ordres du Pacha, silence complet à bord.

 

"Avant trois… arrière trois… chassez à courir !", ça devait bouillonner en surface, et d’un seul coup: raouf…! on est remonté comme un bouchon. Autant dire que l’exercice était foutu.

 

Le Pacha pas du tout gentil avec moi : "Donne-moi la carte n°  x, et les avis aux navigateurs des six derniers mois". Je n’étais pas fier. Mais après contrôle de sa part, il m’a dit que j’avais fait du bon boulot. Ouf…! Je crois que c’est à partir de ce moment là que les Pachas m’ont toujours eu à la bonne.

 

Finalement le banc de roche signalé là, était deux milles plus loin, et on a posé le bateau dans de la vase. Il devait y en avoir épais. 

 

Voila pourquoi les barreurs avaient posé le bateau si doucement et avaient ramassé les félicitations du Pacha.

La bouffe à bord, bonne, il y avait de bonnes choses, mais voila que des conserves, adieu les vitamines C. Il y a cinquante cinq ans de ça, les toubibs ne savaient pas comment soigner les gingivites, les ostéites, les pi orées alvéolaire, et bien sûr…j’ai ramassé tout ça.

 

Je me rappelle qu'ils essayaient de soigner avec des dentifrices. Je me rappelle encore la marque  Sanogile, Spirogile, comme si on avait pissé dans un violon. Il nous fallait tout simplement de la vitamine C. Ce que je n’ai pas dit jusqu'à maintenant, c’est l’humidité à bord, l’eau ruisselait partout. Cinquante bons hommes qui respirent, ça fait pas mal d’humidité, tout moisissait, y compris les couchettes.

 

Un truc qu’on subissait quand le Vieux ne faisait pas attention : la pression à bord montait de une à deux atmosphères. Le problème, c’est quand il ouvrait le panneau en arrivant en surface. Bien sûr, ça décompressait d’un seul coup, depuis les extrémités du bord, c'est-à-dire l’avant et l’arrière. Cela givrait. Si ça n’avait givré que sur la ferraille, ça ne nous aurait pas beaucoup dérangé, mais c’est que ça givrait aussi sur nous. En dehors des oreilles qui claquaient forts, celui qui avait le malheur de dormir  à ce moment là était réveillé un peu vite !

 

Pour supprimer cette pression, il fallait mettre un compresseur en route jusqu'à rétablir l'atmosphère.

Je n’ai pas encore parlé de l’air ambiant. Il y avait une machine, en fait un ventilo qui aspirait l’air à bâbord et le passait à tribord, en le passant à travers une grille dans laquelle il  avait de l’IR8. Je ne connaît pas la composition chimique. Ca devait avoir la propriété de retenir le gaz carbonique. En plus, on lâchait de l’oxygène, bien sûr, ça montait en pression, alors on mettait un compresseur en route et la boucle était faite.

 

Dans son immense mansuétude la Marine nous offrait une semaine en montagne et on pouvait ajouter une semaine de congés… si on voulait !

 

Deux années de suite, avec une quinzaine de copains, on a été à Barcelonnette dans les Alpes. Ce n’était pas désagréable de respirer un peu d’air frais. On avait du succès, en ski, en tenue de sortie. Ha…! On était remarqué sur les pistes, des marins en montagne ça se voit de loin.

 

Au cours d’une escale à Port Lyautey, au Maroc, je ne sais pas comment s’appelle cette ville maintenant. On a remonté le fleuve, il y avait des milliers de cigognes le long du fleuve. Voir une cigogne, c’est bien…!  mais des milliers… ça fait un sacré vacarme !

 

 A la baignoire

 

Malte, la Valetta, Slima, deux coins du port de Malte, on était mouillé au milieu de la rade, pour aller à terre, bonjour les petites gondoles…!

 

Vingt et un membres de l’équipage à terre… en bordée : On mettait une somme d’argent chacun à celui qui, en principe résistait le mieux à la bibine. C’est lui qui réglait la note quand on sortait du troquet. 

 

Je me rappelle bien, la tournée coûtait vingt et une livres « monnaie du pays ». Et bien, ce soir là, nous avons bu vingt et une tournées, une bière et un whisky, bonjour le résultat … Le Pacha, quand il a vu l’état de l’équipage, une rogne infernale l'a pris. Une fois tout le monde à bord  "Au poste de manœuvre !." Et nous voila en mer ! la mer n’était pas bonne ce jour là. J’ai vu des solides qui résistaient en mer, mais ce jour là, tout le monde était malade !

 

A Malte, j’ai participé aux manœuvres de l’OTAN, De GAULLE ne l’avait pas encore foutue dehors, "La tactiechère", le nom de la manœuvre en salle. Il y avait un immense panneau de "plote", des minettes qui traçaient sur le panneau  étaient plus mignonnes les unes que les autres.

 

Le Pacha a été félicité pour sa manœuvre. Il a sacrifié l’Africaine pour permettre à l’escadre de passer. Si ça avait été la guerre, ça nous aurait fait une belle cuisse de nous sacrifier !! 

 

Je n’ai pas encore parlé de Popeye. Popeye, c’était le chien, un ratier tout blanc. Il avait neuf ans. Comme tout l’équipage, il perdait ses dents. Il n’avait plus de poil sur la queue, bref le vieillard. quoi !! Un jour on fait escale à Nice, amarré à quai au bout de la promenade des Anglais. Nous somme arrivés un soir. Il y avait du monde sur le quai à regarder la manœuvre. Entre autre, une petite mémère, fourrure, et une petite caniche en laisse ; les gars du pont mettent la passerelle à quai, là aussitôt, Popeye traverse la coupée et fonce voir la petite caniche. Affolement de cette mémère qui prend sa chienne dans ses bras, immense éclat de rire des gens qui regardaient, et de l’équipage bien sûr," vas y… Popeye… on arrive ! ", le Pacha ne savait plus s'il devait rire ou faire taire les gars du pont.

 

Quand il est mort Popeye, on était à Lorient en fin de carénage, on couchait à la base sous marine dans la piaule Popeye agonisait sur son sac, un jeune torpilleur qui venait d’embarquer trouve rien de mieux à dire : "Il faut l’achever ce chien!", ce jour là, il a loupé sa montée à bord. 

 

Je ne sais plus qui a dit : "D’abord ce n’est pas un chien…c’est Popeye!  et tu n’as rien à dire !". Le pauvre vieux ne savait pas, il a mis du temps à s’en remettre de sa connerie.

 

Finalement il a passé l’arme à gauche quand même ce sacré Popeye.

 

En accord avec le Pacha on lui a rendu les honneurs, c’est à dire qu’on l'a mis dans son sac avec la tête de l’Africaine, un bronze de deux kilos, posé sur le pont et aux tests après carénage on a plongé. Avant de fermer le panneau le Pacha a donné un coup de sifflet, et c’est comme ça que Popeye a terminé sa carrière en mer du nord.

 

Au cours de nos pérégrinations en mer méditerranée, un jour, j’étais de veille à la passerelle, je me suis mis à gueuler comme fou "Elles soufflent !", trois baleines qui naviguaient sur notre bâbord. Sur l’ordre du Pacha, tout l’équipage a défilé sur la passerelle, au poste d’admiration, il était onze heures. Les exercices nous ont  obligé à plonger. Dans la soirée quand on a fait surface, on en a revu trois. On suppose que c’était les trois mêmes qui nous avaient suivies.

 

En méditerranée la sixième flotte américaine faisait des manœuvres et tirait au canon. Un jour où on revenait d’Afrique du Nord, plouf !, plouf !, des obus tombaient tout autour de nous. "ALERTE ,  trente mètres !". On plonge en catastrophe, plus rien. Quelques heures après on refait surface, plus de sixième flotte mais par contre les veilleurs signalent des douilles d’obus qui flottent droit devant. Le Pacha fait stopper, baignade, la double à celui qui ramène une douille. Ces douilles faisaient quatre vingt centimètres de haut et quatorze ou quinze de large. Il ne faut pas oublier que j’étais Maître de nage ( brevet de nageur de grand fond et de sauvetage). Aussi, c’est moi qui ai ramené la première douille à bord. Je ne l’ai pas  vu, mais je sais que le Pacha l’a fait sculpter et l’a envoyée à la sixième flotte.

 

Il faut que j’explique ce que c’est que la double. Dans la "vieille" Marine pour un bien fait à bord, le Pacha lui allouait le double de vin pour la journée, et c’est resté dans les traditions. C’est resté honorifique, mais plus rien à voir avec la réalité, car on avait un bidon de pinard pendu en permanence au poste à l’avant.

 

Je n’ai pas encore parlé des rats. L’intérieur du poste à l’avant était peint en vert clair, toute les tuyauteries en vert clair, les pompes en vert foncé, certaines tuyauteries au cul des tubes lance torpille en rouge. Au bout d’un certain temps, on voyait le passage des rats sur les tuyaux.

 

A l’appel du matin, quand on était à quai, toujours le même cérémonial. Celui qui ramenait un rat avait droit à la double. C’était chaque fois une partie de rigolade. Il faut que je dise comment on chopait les rats : au collet, comme un lièvre en pleine nature. Il n’y avait plus de fil électrique à bord.

 

Il faut que je raconte l’escale à Agadir au Maroc : Réception offerte par l'Amicale des Anciens Marins d'Agadir, à  l’hôtel Boussahada, très bel hôtel !. Nous qui sortions de l’humidité, nous voila en plein soleil avec un apéro et des petits fours. On y était bien !. On y serait bien resté un certain temps.

 

Au moment du tremblement de terre de 1958…je crois !, l’hôtel  Boussahada est tombé, les onze dalles se sont empilées les unes sur les autres. Si je me rappelle bien, il y a eu plus de cent morts.

                                                 

A Agadir il y avait le fort de la Légion, ce fort se voit très bien depuis le quai où nous étions amarrés. Je n’étais pas dans la confidence, mais le fait est qu’il y a eu un échange entre la Légion et nous : une dizaine de légionnaires en réception à bord et un tiers  de l’équipage à monter au fort.

 

Pas triste la descente pour revenir à Agadir, mais par contre la légion a envoyé un camion pour remonter leurs bons hommes au fort.

 

  Inspection avant de descendre à terre à Marseille

  

 Escale a Marseille : nous, on était le cul à quai au bout de la Canebière. La fameuse sixième flotte américaine était mouillée au large. Toute la nuit on a été emmerdé par leurs navettes qui amenaient les permissionnaires. Je n’étais pas dans le coup, mais il y avait eu un sale coup de fait. Des gars du bord non identifiés ont attaché un marin américain à un poteau sur la Canebière après lui avoir fait quelque bosses. Il y a eu des plaintes posées, mais on a jamais su le fin mot !

 

Bizerte en Tunisie : On apprend que le Pacha est invité par l’aéronaval de Karouba à voler et voir son sous marin depuis les airs. En échange, il devait embarquer une équipe de pilotes à bord pour une plongée. Ok ! Il fait son vol et voila les pilotes à bord. Ils n’ont pas eu de chance, car ce jour là, la mer tabassait dur. C’était tous des lieutenants, des capitaines, ça dégueulait dans tous les coins. Ils auraient bien voulu avoir nos couchettes pour s’allonger, mais voila ! C’était nos couchettes et on ne voulait pas des restants de repas dans nos molesquines, bien dit…hein !.  Pour des officiers… hein ! 

 

Il faut que je parle quand même du sous marin atomique "le Redoutable". J’ai barré le Redoutable quand il était en étude à Issy les Moulineaux, à Paris. Ils avaient reconstitué le central d’un sous marin, en laboratoire pour voir comment il se comportait par différents états de la mer. L’Africaine avait deux barres, une à l’avant et une à l’arrière. Quand on naviguait par temps calme et que le bateau  était bien pesé, on arrivait à ne plus se servir de la barre avant. Je me rappelle bien que ça les avait surpris.

 

On couchait à la Potinière, une caserne de la Marine, pour aller à Issy-les-Moulineaux on devait prendre le métro…quatre matafs dans le métro le premier jour…surprise des Parisiens. Vous pensez ma pauvre dame, quatre sous mariniers  dans le métro. Ca a duré cinq semaines. Aussi les gens nous attendaient le matin,. On se marrait bien !

 

Dans ce fameux laboratoire, nous avons eu la visite du ministre de la Marine de l’époque « MARIANI », j’ai une photo où on le voit nous poser une main sur les épaule. Ça devait faire bien pour sa basse cour de se faire photographier avec des sous mariniers.

 

Encore une chose que je n’ai pas dit : A bord, je faisais partie du premier tiers, comme tous les équipages divisés en trois, pour couvrir les vingt quatre heures de veille. Je faisais la veille avec un lieutenant « LOUSEAU ». Ses pairs l’avaient surnommé « Babar »; des heures et des heures à faire la veille, ça fait des heures de discussion. Il m’a appris à faire le point en mer, à retrouver telle étoile ou telle autre. Ce n’était pas un copain, mais le courant passait bien entre nous…sans plus.

 

Une trentaine d’années plus tard, j’ai reconnu LOUSEAU…" l'Amiral LOUSEAU", dans Match. Il était devenu le conseiller du Président de la République pour la défense stratégique sous marine  (arme atomique). Il avait grossi !. C’était devenu un sacré bonhomme !

  

Vers mille neuf cent cinquante six, on reçoit l’ordre de mettre L’Africaine comme un sou neuf,  poste de nettoyage tous les jours, une heure par jour pour le poste de propreté ça allait, mais à longueur de journée, on en avait tous raz le pompon. Evidement, au bout d’un moment, le résultat était là. On commençait à être fier de notre vieille baille. On doit remonter la Seine jusqu'à Rouen et recevoir la visite du Président de la République ,"René COTI", voila la raison du nettoyage intensif.

 

Nous voila en mer méditerranée, détroit de Gibraltar, Atlantique et escale à Nantes. En rentrant dans les bassins le Pacha loupe son coup, et touche une porte de bassin avec une barre avant tribord. Je ne sais plus ce qu’il y avait de tordu, mais plus question de manœuvrer correctement.

 

La visite annulée, on va directement à Lorient en carénage. Les mecs voulaient  vider les poubelles au milieu du central, en avoir vu des vertes et des pas mures pour en arriver là…!  On était pas vraiment  content !

 

On a rattrapé le coup le soir même, sur les quais pas loin de notre amarrage à quai, le bal des pompiers. Il n’y avait pas beaucoup de pompiers, mais tout l’équipage était là.

 

En ce qui me concerne, je ne connaissais pas le muscadet. Les pompiers se faisaient un malin plaisir de nous offrir un canon par ici, un canon par là …vachement arrangé …vraiment esquinté…le mec. 

 

J’ai mis plus de dix ans avant de pouvoir boire un verre de blanc. Simplement de le voir me rendait malade. Encore maintenant, je ne me sens pas capable de boire un muscadet. Un mauvais souvenir de Nantes.

 

La darse de la base sous marine de Lorient était en face de Kermèlo. Ce bled m'a valu 20 jours de prison et a mis fin à mon avancement. J'explique : Un soir, j'étais de service, des nanas nous faisaient des grands coucous depuis la plage de Kermèlo. On ne va pas rester comme des cons à la base, sitôt dit ,sitôt fait. On pique le youyou des douaniers, et nous voila à traverser la darse, le tout sans faire de bruit, un vrai coup de commandos. Mais voila, c'était sans compter sur les gars du Millet, un autre sous marin, qui eux ont fait un bordel sans nom. Evidement, les flics maritimes les ont vu, et ont fait le tour de la darse, et bien sûr,  c'est sur nous qu'ils sont tombés, car les gars du Millet étaient repartis quand ils ont vu que L'Africaine était déjà sur place. On n'allait pas se bouffer le foie entre nous. Le Pacha m'a engueulé en me disant qu'il ne pouvait rien faire car l'affaire était dans les mains de l'Amirauté."La prochaine fois dis-le moi et on ira ensemble !". Avec le recul du temps : Des sacrés bonhommes ces Pachas de sous marin. La moyenne d'âge de l'équipage 21 ans, les Pachas, 30… normal qu'ils courent la gueuse aussi.

 

Lorient : Ha…Lorient…!  On ne naviguait plus, en carénage, à terre tous les soirs si on voulait…le panard…! La belle vie quoi ! Le samedi soir pratiquement tout l’équipage célibataire se retrouvait chez « NEDO », le bal de réputation national, chez tous les sous mariniers.

 

Au bal, tous ne dansaient pas, alors pour les occuper on faisait des concours. Ceux qui ne dansaient pas faisaient le jury, et allouaient des points pour celui qui trouvait la plus belle, la plus moche. Une boîteuse remportait un maximum de points. Il y avait un tas de points à respecter pour sortir gagnant du concours. Fallait bien se passer le temps.

 

On avait droit à une prime dite de béton, ce qui nous améliorait l’ordinaire, puisque je m’occupais des vivres. J’allais à la rotonde, au marché aux poisson, et régulièrement je ramenais des huîtres, des langoustines, des crabes. Tout le monde se régalait bien. Cela nous changeait des conserves du bord.

  

Tous les matins il y avait l’appel sur le pont à l’avant. C’est là qu’il y avait le plus de place. En se serrant, on arrivait à tous se tenir.

 

Deux de l’équipage n’avaient rien trouvé de mieux que de se passer l’Humanité «  le journal » et de parler des articles, de la révolution, de LENINE, du parti communiste. En ce qui me concerne, je ne savais pas ce que voulait dire le mot politique, mais prêt à faire la révolte… pas la révolution !

 

Un jour le Pacha demande untel, untel . On était cinq à passer au rapport devant le Pacha, en nous disant que des faits graves pesaient sur nos têtes. Je ne comprenais rien à rien. Je ne savais même pas ce que voulait dire URSS. Heureusement que le Pacha n’était pas borné comme le Second, sinon j’avais droit au tribunal militaire comme les deux qui lisaient l’humanité. Ils ont ramassé trente jours de prison avec motif « subversion ». J’ai eu beaucoup de chance ceci dû à mon ignorance.

 

On ne les a jamais revu à bord !!

  

J’ai eu la quille en cinquante sept. En soixante,  la Marine me rappelait pour une période de huit jours à Toulon. Ok…pas moyen de passer à coté,  alors faisant contre fortune bon cœur, me revoilà à Toulon. Un soir, je me baladais dans l’arsenal sans autre but que de regarder les bateaux, moment d’émotion ! Je vois L’Africaine dans un bassin, à sec, seule, plus de périscope, plus d’antenne, la démolition , le massacre, ils n’avaient pas le droit de faire ça à la vieille baille !

 

Drôle de sentiment, j’avais l’impression de perdre un membre de ma famille. Je n’ai pas été jusqu'à avoir la larme à l’œil, mais je n’étais pas souriant.

  

Quand on arrivait à Lorient, on avait x jours de mer et souvent on gardait la barbe. On faisait sensation en arrivant chez Nedo. Toutes les belles de Lorient attendaient de pied ferme ces affreux barbus.

 

Cinq ans et voila la quille ! Sortir de la base sous marine de Keroman , j’étais content et pas satisfait. Je quittais la marine !

La mer ne me manquerait pas, mais la Marine, les copains du bord. Je sortais d’un monde… Je retournais dans le civil.

 

Et voila comment au bout de cinq années à bourlinguer en mer on se trouve la bague au doigt  par une Bretonne, de ça, ça fait cinquante ans !

 

 

Correction et mise en page :  Jean Pierre MONIOT

Auteur Editeur :                      Robert DELGRANGE                              Belfort le 14 janvier 2008

 

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