SOUVENIRS DE MA VIE A BORD DU SOUS-MARIN L’AFRICAINE (1955-1958)

Texte de Jean-Marie Colin (Torpilleur)

 

(Extraits 1/4)

[ La vie à bord ] 

 

Sous-Marin l'Africaine (1945-1955) Sous-Marin l'Africaine (1955-1961)
Juste avant que les équipages suivants ne perdent le canon !
(Collection Claude Blondel 1952-1955)
A Port Lyautey en 1956
(Collection Eugène Choppin)

 

 

Ce sous-marin français de conception d'avant guerre possédait la seule coque à être passée à travers les bombardements. Mis en chantier en 1945 il entra en service en 1947. Construit sur des plans anciens, il ne comportait aucune amélioration, pas de tube à air pour la marche des diesels en plongée, une écoute rudimentaire et peu de confort.

 

L’Africaine avait 80 mètres de long, pesait 800 tonnes, disposait de 10 tubes lance-torpilles (4 à l’avant, 2 tubes canon à l’avant du kiosque, 2 tourelles doubles orientables, une à l’arrière du kiosque et l’autre à l’arrière du sous-marin), 2 canons de 20mm en barbettes formant l'arrière du kiosque et un canon de 88 mm formant l'avant du kiosque. Je n'ai pas connu ce dernier, il avait été remplacé par un sas de largage de nageurs de combat. Son immersion maximum était de 100 mètres, son autonomie en plongée de 24 heures avec recours à la régénération par bouteille à oxygène et chaux sodée répandue à même le sol du parquet. En exercice courant, l'autonomie était de 8 heures de plongée, après il était nécessaire de faire surface pour recharger les batteries. Il était peint en noir et portait le numéro d'immatriculation S 607. Son pont était en bois et son effectif comportait 65 hommes d'équipage dont 6 officiers, 14 officiers mariniers, 45 quartiers-maîtres et marins, 2 chiens : Popeye et Fifille. Sa vitesse de croisière était de 5 nœuds et celle maximale 12 noeuds.

 

Le Canon de 88mm ou
Claude Blondel en pleine forme !
La Plage AR et les Barbettes
(Collection Claude Blondel 1952-1955) (Collection Roland Bouyer 1955-1958)

 

Le temps d’effectuer un tour du bord pour me familiariser et de faire à nouveau les mouvements d'embarquement (je ne fis que passer à l'infirmerie pour la signature de la feuille) et me voilà embarqué pour les essais après DISAC (période de réparation) pour rallier un secteur de plongée. Ces secteurs étaient des endroits où nous pouvions plonger en toute sécurité, ils s'étendaient de Marseille à Nice, par exemple le 61 était près de Toulon et le 93 devant Nice. La durée du trajet dépendait donc du secteur et nous ne pouvions plonger que dans le secteur qui nous était alloué, le sous-marin restait en surface jusqu'à l'arrivée sur zone.

 

Cette journée avait commencé très tôt. A 4 heures du matin, il y avait eu appel de l'équipage, puis celui du poste de combat (une heure de manœuvres en tous genres permettant de s'assurer du bon fonctionnement de tous les appareils du bord et ceci avant chaque appareillage). Au poste de combat rompu, succéda celui de manoeuvre, les amarres furent larguées et vogue la galère !

 

La mer était un peu agitée et ce long cigare roulait presque bord sur bord. Je n’étais pas très en forme et, de plus, il y avait du tangage et çà… ce n'est pas bon pour l'estomac ! Celui-ci tantôt me descendait sur les genoux, tantôt me remontait dans la gorge et, à ce train là, la poubelle me tendit ses bras pour un premier dégueulis. Malgré que j’étais allongé sur mon hamac, à même le parquet, (Je faisais partie du 3éme tiers et n’étais de quart qu'à midi), mon estomac faisait ce que j'ai dit plus haut. A 8 heures, le rappel au poste de propreté m'obligea à me lever, le patron torpilleur L... me demanda pour me tester de nettoyer la cale sous les tubes, je fus obligé de déplacer des gueuses de plomb de 30 kg pour atteindre !a coque. Je ne pouvais pas être plus à l'avant du bateau, alors le tangage je ne vous dis pas ! J’avais à peine déplacé cinq gueuses que je fus obligé de courir vers la poubelle, je croyais déjà avoir tout vidé et bien non, il y en avait encore, Soulagé, me sentant mieux, je retournai sous mes tubes, il y avait en plus des odeurs de gasoil et autres pestilences qui remontait de la cale. Voyant ma bonne volonté, le patron après une demi-heure me fit remettre les gueuses. Ouf ! Très content de rompre le poste de propreté, je regagnai ma couchette et m’endormis. Je me suis réveillé à 80 mètres, je n'avais même pas entendu l’alerte...

 

Au repas de 11 heures, nous étions trois néophytes pour le baptême du sous-marinier qui consistait à boire un bol d'eau de mer et, de suite après, un quart de vin. Pouah, quelle horreur ! Il fallait y passer, sinon ce n'était pas la joie, ceux qui refusaient ne faisaient pas de vieux os à bord.

 

Mes premiers quarts m'enchantèrent et je fis connaissance avec la barre de direction, la barre de plongée avant et les appareils d'écoute. J’étais en double avec celui que je devais remplacer, nous sommes rentrés vers minuit. Les essais étaient concluants. Nous sommes restés la fin de la semaine à quai pour préparer une tournée de 15 jours en Corse, les villes de Calvi et Ajaccio étaient au programme. Cela commençait bien, mettant de la bonne volonté dans tout ce que l'on me demandait, je fus embarqué définitivement, j'étais heureux d'être sous-marinier.

 

Le confort était inexistant, il n’y avait que deux bannettes (couchettes) pour trois, c’était le système de la bannette chaude : deux hommes dormaient alors qu’un troisième était de quart, lorsqu’il quittait son quart, il rentrait sous la couverture bien chaude utilisé par son remplaçant, l'hygiène était nulle. De toute façon personne ne se lavant, tout le monde logeait à la même enseigne. Et pourquoi ne se lavait-on pas ?

 

L'Africaine le nez dans la plume (56-58)
(Collection Roland Bouyer 1955-1958)

 

L'eau douce, il y en avait très peu, servait uniquement à la boisson et pour la cuisine. L’eau destinée au lavage était contenue dans un compensateur des tubes lance torpilles de 2.500 litres. Il suffisait de faire deux lancements de torpilles et finie l'eau de lavage, elle était remplacée par de l'eau de mer. Dès que j'ai eu droit à une bannette, je me suis toujours couché en pyjama, c'est à dire tout habillé. Je m'allongeais par dessus la moleskine et quand il faisait froid je m'enroulais dans une couverture, je suais beaucoup et il devait être désagréable de s'enfoncer dans des draps humides, ainsi je ne gênais pas les collègues. Les six premiers mois j'ai eu droit au hamac. Nous étions en surnombre, les sous-marins de la série Narval commençaient leur armement et il fallait former du personnel. II y avait deux postes équipage, celui de l'arrière était destiné aux mécanos, électriciens et chefs des tourelles TLT. Il était impossible de mettre un homme de plus. Tout le personnel supplémentaire dormait à l'avant. Là, deux cas de figures se présentaient : les anciens bénéficiaient des bannettes, les jeunes prenaient des hamacs, suspendus pour les jeunes - anciens, à même le parquet sur une simple toile pour les jeunes – jeunes. Les quinze premiers jours, j'eus droit au parquet pour me faire goûter à la chose, après, le chef de poste qui était obligatoirement un quartier-maître torpilleur m'ordonna de me suspendre, un torpilleur ne dormait pas sur un parquet, c'était bon pour les mécanos et autres pégreleux, dixit le chef de poste en fonction : B. Gaillard dit Félix because l’homme politique !

 

Un ancien partit armer le Narval me permit d'accéder à la bannette. En fin de compte, j'étais bien dans mon hamac car par mauvaise mer, je ne sentais pas les effets du roulis, pour le tangage c'était autre chose, par contre je n'avais plus la corvée de l'embarquer dans la journée. Les jeunes pouvaient s'allonger sur les bannettes, les anciens jouaient aux cartes. Les nuits de mauvaise mer, je ne vous dis pas le souk qu'était le poste avant et les relèves de quart étaient folkloriques. Les gars des bannettes sautaient sur ceux qui dormaient par terre à cause du roulis, ceux qui avaient le mal de mer ne pouvaient pas toujours arriver à temps à la poubelle et dégobillaient sur les hamacs. Le lendemain au poste de propreté, il y allait du boulot et de bonnes odeurs. Après une semaine de mer, les gens qui montaient à bord se demandaient comment l'on pouvait vivre dans un confinement pareil. C’était très simple, personne ne se lavait donc les odeurs corporelles étaient les mêmes pour tous et elles venaient progressivement au fur et à mesure des jours de mer si bien que nous ne nous en apercevions pas. Quand je dis que l’on ne se lavait pas, c’est vrai. Mais, nous aurions pu ! Il y avait des douches à l’eau de mer et du savon spécial. Oui et alors le sel, qui l’enlevait le sel ? Hein !...

 

La bouffe était bonne mais tout dépendait de la bonne volonté du cuistot et surtout de son savoir faire, Bébert B... était un des seuls du bord à avoir fait la guerre aux sous-marins. Il consommait pas mal de vin rouge et quand il avait dit « Moi, aux sous-marins pendant la guerre…», c'était fini, il valait mieux ne plus rien dire, j'en reparlerai dans un chapitre particulier. Comme je suis sur le confort, continuons, le plus jeune était de gamelle jusqu'à ce qu'un nouveau embarque si bien que l'on pouvait être de gamelle tous les jours pendant plusieurs mois, il arrivait que le préposé à la première soupe ne lave pas les gamelles ce qui amenait celui de la seconde soupe à gueuler un bon coup, les conflits étaient réglés par les anciens à coups de pied au cul ou avec d’autres sanctions peu orthodoxes.

 

Minoï cornant dans le bidon (56-58) Dongelès surgissant de sa bannette (1956)
et Gégène d'après la largeur de paluche
(Collection Roland Bouyer 1955-1958)

 

Assister à un repas devait être pour une personne normale incroyable, voir impensable. Il n’y avait pas de tables, pas de siéges. Alors mangions-nous debout ? Non ! Nous prenions nos repas assis sur les bannettes du bas qui au repos se rentraient dans les caissons contenant nos vêtements. Nous les sortions pour les repas et nous mangions entre nos jambes, du moins pour les douze qui pouvaient y prendre place. Les autres s’asseyaient directement par terre, en tailleur. J’allais oublier les deux poubelles, une basse servait de chaise, l'autre plus haute de table. Elles étaient réservées à un torpilleur, j'y eus droit après trois mois. Le chef de poste se réservait la caisse à clous des TLT (tubes lance torpilles). Chacun avait, en fin de compte, la place due à son rang. Ces repas étaient de vrais spectacles, non seulement cela faisait camping sauvage mais la moitié au moins des marins n'avait ni gamelle, ni couverts, par contre chacun avait un couteau. Dans quoi mangeaient-ils ? Dans les portes des caissons légèrement incurvées, sorties de leurs gonds, ça faisait une assiette convenable assez grande c'est sûr, un coup de chiffon après le repas et c'était propre pour la prochaine soupe. R.D... essuyait carrément le parquet et mangeait dessus, ce même zigoto mollardait dans le bidon de vin rouge pour nous dégoûter d'en boire, n'ayant pas de quart il fallait corner directement au bidon, quelques uns avaient des boîtes d'asperges ou de petits pois. A chaque embarquement de jeunes, il faisait le coup, comme j'avais quart et gamelle, je n’eus de problème, il m’avait suffit de faire attention que le mollard ne tombe pas dans le quart. Le bosco K... embarqué le même jour que moi ne s'était pas posé de question. Il avait pris le bidon et hop un bon coup ! C’était un bon breton, le pinard était une religion pour lui, même s'il y avait eu du gasoil dedans il l'aurait bu. Dongelès était son surnom, parce qu’il se plaisait à répéter toujours ce mot breton, je n’ai jamais su ce qu’il signifiait : « Sacré Dongelès ! ».

 

Croyez-vous que les ingénieurs avaient oublié de prévoir les tables et les bancs ? Que non ! Mais, le matériel était lourd et encombrant, il fallait le fixer au parquet pour éviter les déplacements lors de pointes excessives à la prise de plongée ou au retour en surface ou encore en cas de mauvais temps. Vu le surnombre en effectif, tous les soirs il fallait les entasser devant les TLT pour que les gars puissent dormir sur le parquet, nous les laissions au magasin, c'était beaucoup plus simple. Un commandant voyant le spectacle, nous obligea à les embarquer. Après une semaine de mer il renonça, les fixations étaient peu fiables et à longueur de journée pendant les exercices tout se baladait d'un bord à l'autre risquant d'endommager du matériel vital, nous n'avions pas fait preuve de bonne volonté durant cette expérience et il nous laissa vivre tranquillement dans notre crasse. Étais-je privilégié avec mes deux poubelles ? Oui, quand il faisait beau, mais par mauvais temps, hein ? Je levais mon assiette, soulevais le couvercle et me soulageais. Pour les autres je faisais de même et attendais leur bon vouloir pour continuer à me restaurer et ceci durant deux ans sur trois. Une année je fus chef de tourelle et je mangeais à l’arrière. Ce matériel était très lourd et à chaque embarquement de torpilles, il devait être mis sur le quai et c'était les torpilleurs qui se payaient le boulot. Alors, la facilité prima sur le confort ! Nous étions jeunes, au diable le bien-être…

 

Les escales en port français ou étranger étaient les bienvenues, là nous étions obligés d'embarquer matériel de toilette et tenue de sortie bleue pour l’automne et l’hiver, blanche pour le printemps et l’été. Un seul caisson par bonhomme 40 cm de large, 30 cm de haut et 60 cm de profondeur et encore que pour l'armement initial, il en manquait une douzaine. Pas question de plier les tenues 25/25, pas de matériel de repassage, de grondes housses en skaï permettaient de bien ranger nos tenues, nous les pendions entre les TLT, mais à chaque poste de combat où il y avait lancement de torpilles nous les déménagions le plus rapidement possible, après quatre ou cinq mouvements de la sorte, les tenues étaient dans un triste état et pourtant il fallait être impeccable pour sortir à terre. L’officier de garde nous passait l'inspection avant que l'on puisse s'égayer dans la nature, l'hiver çà allait encore, le pilou pilou en tenue de drap bleu se tenait bien. L'été avec les blancs c'était une autre paire de manches, nous n’avions que deux tenues, Le bord étant gras par nature : gasoil, huile, etc... Il fallait faire très attention pour monter sur le pont par les échelles verticales des panneaux AV et AR. Avec mes 100 kg je passais tout juste dedans et je devais faire des contorsions infernales pour éviter que le pantalon et le reste ne touchent un seul barreau. Pour des escales d'un week-end, il n’y avait aucun problème, mais pour des tournées d'été de 45 jours, le système D était obligatoire pour éviter les lavages, la craie nous était d'un grand secours, un marin se débrouille toujours. Mieux vaut une escale que d'être en mer !

 

Un cul de poule bien gardé ! (52-55) Inspection sur le Béarn de l'Africaine (1958)
(Collection Claude Blondel 1952-1955) (Collection Gégéne Ouardat)

 

Qui massacrait le blanc ? Le poste de manoeuvre aux escales, la manipulation des aussières était mortelle, le quart à la coupée avec la mitraillette au côté et les guêtres, alors pas de pardon, le blanc était cuit pour les sorties, les armes pour être protégées de l'humidité étaient graissées et huilées et malgré un essuyage poussé restaient à l'état gras. A chaque ordre donné de « Présentez armes »le blanc en prenait un coup. J'ai vu dans ces tournées les copains sacrifier un blanc pour le service, ils se le passaient de l'un à l'autre, mais moi avec mon type de minceur j'étais obligé de prendre les miens !

 

Comme vous avez pu le constater, il y avait un protocole en fonction du degré d'ancienneté, il existait également pour les sorties. Les jeunes matelots, que nous étions, touchaient royalement 2.400 F anciens c'est-à-dire 24 F nouveaux ou 3,66 € par mois. Il n’était pas question de faire des folies alors les anciens une ou deux fois par mois nous sortaient et il n'était pas question de refuser à l’ordre « Allez mousse saute dans le kékouane et dehors ! ». Quand je dis que nous ne pouvions pas refuser, ce n'est pas exact mais c'était très mal vu et il y avait des représailles à la carrée ou à bord, mieux valait être dans leurs papiers ! La sortie en question se déroulait immuablement par cinéma, restaurant et visite des bars à Chicago, pas n'importe quels bars ceux des sous-mariniers. Chaque grande spécialité avait les siens : sous-marins, surface, aéronavale, etc. Si par hasard, il y avait intrusion dans un bar coopté par une catégorie par des éléments étrangers à elle, une bagarre n'était pas exclue, elle dépendait du degré éthylique de chacun et de l'envie de se battre. A cette époque il n'était pas rare qu'il y ait quelques morts sur une année, je reviendrai sur Chicago.

 

A la base, nous avions le foyer Nautilus mais également dans la pinède, en face des appontements Milhaud, le foyer Triton. Presque tous les soirs nous y allions. Les anciens nous y entraînaient. Le processus étaient simple : je payais la première bière et je n’avais plus qu’à boire mes 20 à 30 bières dans la soirée. Inutile de vous dire que les rentrées du Triton étaient plutôt longues. En trajet, il n’y avait pourtant qu’un petit kilomètre, mais la montée vers la carrée n'était pas triste ! Barreau après barreau, nous arrivions finalement au quatrième étage où elle se situait. Y avait-il parfois pire ? Oui certainement, c’était de ne pas rentrer du tout et de dormir dans la pinède sur les aiguilles de pin et être réveillé le lendemain par les clairons des porte-avions dans le cas d'une tritonnade du samedi soir. Même à la carrée, nous dormions par terre sur nos hamacs, car nous avions la flemme de les tendre, là j'avais le matelas quand même ! Cette vie de débauche dura 6 mois, même le midi on avait le temps d'écluser 5 à 6 bières au Nautilus, les anciens nous quittaient les uns après les autres, direction Cherbourg, pour l’armement des sous-marins neufs, les habitudes changèrent, je reconnais que j'avais été un peu contraint de mener cette vie mais consentant quand même. Les jeunes qui arrivèrent ensuite n'ont pas subi ces aléas, car nous n’avons pas suivi l’exemple des anciens. Quelques traditions restèrent : le baptême du sous-marinier, la sortie en groupe à Chicago (Quartier chaud de Toulon). Durant la fréquentation des foyers, la quantité de consommation baissa. La mentalité de la marine changea, les jeunes officiers n'avaient pas connu la guerre de 39-45. Pour éliminer la vielle garde, la Marine mit en retraite anticipée ses vieux poivrots ou les désigna pour l'Afrique du Nord aux DBFM (demie brigade de fusiliers marins). Pour éviter cela, ils demandèrent leur retraite, quelques uns comprenant que l'on voulait les faire dégager ne voulurent pas partir et allèrent aux casse-pipes !

 

La période «jus de fruits » se mit peu à peu en place. Nous n'étions pas autorisés à découcher ni à nous mettre en civil, ceux qui étaient pris allaient directement en taule, nous étions repérés par les patrouilles à cause de nos boules à zéro. La dernière rentrée des permissionnaires était à une heure du matin. Après, la porte principale était fermée. Mais Malbousquet et Castigneau fermaient à 20 heures, nous étions obligés de faire le mur pour rentrer. Un seul passage était connu au niveau des bassins Missiessy, comme nous étions toujours en groupe, le hissage allait à peu prés, mais la retombée directement sur la route était problématique. Il y avait 3 mètres et vu l’état où nous étions cela pouvait faire mal ! Je ne l’ai fait que deux fois et ma foi je m'en suis pas mal tiré. Il y eut beaucoup d'accidents, des jambes cassées entre autres. Les autorités, au courant de la chose, finirent par nous mettre des barbelés mais laissèrent la porte principale ouverte toute la nuit, il suffisait après une heure de se pointer sur un cahier. Cela permettait en cas de manquement à l’appel de vérifier que nous étions bien rentrés et de savoir s’il n’y avait pas eu de chute sur le trajet de retour à la base dans un bassin ou tout simplement à la patouille.

 

 

[ Les exercices ] 

 

Comme on peut le constater, notre vie de sous-marinier se déroulait à bord avec le service par tiers. Tous les trois jours le tiers de l'équipage passait sa nuit à bord pour la garde et la sécurité du sous-marin, le reste du temps se passait à la carrée et pour les distractions, il y avait les foyers et la sortie mensuelle (ou bimensuelle selon les finances) à Chicago. Nous passions plus de temps en mer qu'à terre, il y avait une trentaine d'escorteurs à entraîner. Pour les DI américains et les escorteurs français qui sortaient comme des petits pains, nous n'étions que 12 sous-marins dont 3 étaient en grand carénage et 2 à 3 en indisponibilité temporaire. Il ne restait donc que 6 sous-marins disponibles, les sorties d'escadre d'une durée de 45 jours à 2 mois en prenaient encore deux. Les quatre sous-marins restants devaient pendant six mois appareiller toutes les semaines immuablement dans la nuit du lundi au mardi, à une heure du matin, jusqu’au vendredi soir minuit ou plus, le lundi permettait l'entretien du matériel, l’embarquement des vivres, des torpilles, la charge des batteries et des groupes d'air.

 

Pourquoi appareillions-nous si tôt ? A cause de notre fulgurante vitesse de 8 noeuds, il nous fallait 7 heures pour rallier les secteurs devant Nice et quand je parlais d'une heure, j'oubliais le poste de combat ce qui donnait l’appel de l'équipage à minuit. Les exercices commençaient à 8 heures pour se terminer le vendredi soir à 20 heures, les escorteurs n'étaient pas trop vaches et nous donnaient l’ordre de la fin d’exercice un peu avant. Comme je l'ai dit, un sous-marin n'appareillait pas sans faire un poste de combat d'une heure pour vérifier que tout fonctionne comme il se doit. Les hommes ayant l'autorisation d'être à terre (hommes mariés et quartiers-maîtres chefs), devaient rentrer plus tôt pour avoir le temps de se changer, si le bateau était à la base, ça allait. Mais s'il était à Castigneau, il fallait prendre le camion et en cas de loupage faire 3 km à pinces ! D’accord avec le temps du poste de combat, l'appareillage ne pouvait pas être loupé mais le tarif, incompressible, était de huit jours de taule et le retard était très mal ressenti à bord car le boulot était fait par les copains. Pour louper un appareillage, il fallait vraiment le faire exprès, les gars qui jouaient à ce petit jeu ne faisaient pas long feu aux sous-marins.

 

A terre nous étions répartis en trois tiers, ce qui donne un tiers à bord toute la journée au mouillage de 8 heures à 8 heures le lendemain. Les deux autres, après le dégagé du travail à 17:30 heures étaient de repos et pouvaient sortir à terre. Avec ce système, vous remarquerez que sur trois semaines il n’y avait qu’un week-end de libre.

 

En mer c’était différent, en partant d’un appareillage à 8 heures :

 

-         1er tiers de quart : 8 à 12 - 18 à 20 - 4 à 8 pour la journée, puis il continuait de 15 à 18, etc.

-         2ème tiers de quart : 12 à 15 – 20 à 24 – 8 à 12, puis 18 à 20, etc.

-         3ème tiers de quart : 15 à 18 – 0 à 4 – 12 à 15, puis 20 à 24, etc.

 

Ce système fonctionnait pendant toute la durée de l'exercice, dans ce cas, le 3ème tiers était de service la nuit d’avant avec un retour programmé le 6ème jour au matin, le 3éme tiers se retrouve de service au mouillage, parfois ce n'était pas marrant surtout pour les hommes mariés.

 

Pour rendre compte de l'activité d'un sous-marin pour une semaine d'exercice, du lundi au vendredi, je vais décrire toutes les activités faites, ce qui donnera un aperçu de la vie aux sous-marins :

 

Lundi soir minuit, ordre : « Le personnel à l'appel ». Les officiers mariniers et les officiers, sauf le pacha, étaient faces à l’équipage. L’appel commençait : « COLIN  » « Présent », « MARTIN » « Présent », etc... Puis «  Au poste de combat », « Fermez les panneaux », « Rendre l'appel », « Poste avant complet », etc.

 

Dans chaque compartiment, le matériel était vérifié. Chacun rendait compte au poste central, « Dépression 20 millibars », « Rendre compte de l’étanchéité », le bord était mis légèrement sous vide par mise en route des diesels, si un léger sifflement se faisait entendre, c’est qu’il y avait une fuite. Pendant une minute, il y avait un silence absolu pour détecter sa provenance et y remédier. Si possible, il était rendu compte de l’importance de cette fuite. Il y avait des fuites normales sans conséquences, mais il ne fallait jamais rendre compte « Fuite normale ». L’O2, (officier en second), chargé du poste de combat n’appréciait pas. L’ordre suivant était « Rompre du poste de combatAu poste de manoeuvre ». Les équipages du pont capelaient leurs brassières et regagnaient les plages AV et AR. L’O2 se plaçait à la coupée, le pacha arrivait à bord « Sur le bord », les honneurs lui étaient rendus. « Bateau prêt pour l’appareillage ». Le commandant montait à la passerelle, prenait le commandement ou le laissait à un officier ou au patron du pont qui avait le titre de chef de quart. « Larguez tout derrière », « Arrière largué, tout est clair », « Larguez tout devant, sauf la garde », « Moteurs avant 3 tiers, barre toute à gauche », l’arrière s’écarte du quai « Stoppez, barre toute à droite, moteurs arrière 3, larguez la garde » « Clair devant », le bateau recule en virant pour présenter son nez dans les passes de la BSM (Base sous-marine), « Stoppez », « Moteurs stoppés », « Barre à zéro », « La barre est à zéro », « Moteurs en avant 3, gouvernez au 180 », « Les moteurs sont en avant 3, en route au 180 »

 

Il était une heure du matin, le ciel était plein d’étoiles, la mer était belle (Pas toujours !), nous passions devant les escorteurs qui faisaient exercice avec nous. A leur bord, tout le monde roupillait, ils n’appareillaient que 5 heures plus tard. Nous traversions la petite rade, les hommes des plages AV et AR rangeaient les aussières, rentraient les chaumards, vérifiaient que les panneaux en bois étaient bien fixés. « A gauche 10, venir au 90 », « En route au 90 ». Nous franchissions la grande passe, « Rompre du poste de manœuvre, premier tiers de quart » Nous étions partis vers les secteurs de Nice, tout le personnel du pont rentraient à bord, les gens du 1er tiers se rendaient à leur poste : veilleurs à la passerelle, barreur au kiosque, radio, électriques, diesels. Les deux autres tiers plongeaient dans les bannettes ou hamacs et s’endormaient au doux bercement des moteurs diesels : piti clac boum tchip, piti clac boum tchip, piti clac boum tchip…

 

-         Sept heures : « Branle-bas ». C’était le petit déjeuner pour l’équipage. Le tiers prenant le quart se levait et allait chercher le jus. Pas tous, il y en avait qui se lèveraient juste pour la relève, ceux qui étaient de 0 à 4 continuaient de dormir.

 

-         Sept heures trente : « Prendre la tenue de veille », cette opération permettait de mettre le sous-marin en état de plongée. En temps de paix, une demie-heure était prévue mais en 10 minutes le nécessaire pouvait être fait. De toutes façons, en temps de guerre, c’était la tenue normale du bâtiment dés l’appareillage.

  

-         Sept heures cinquante : « Tenue de veille prise et vérifiée », depuis un moment nous étions en contact radio avec l’escorteur.

 

-         Sept heures cinquante-neuf : « ALFA BRAVO SIERRA TANGO de CHARLIE PAPA ROMEO JULIETTE » (mots de code que chaque bateau employait pour se faire reconnaître. « READY », nous étions prêts à plonger. Réponse de l’escorteur : « CHARLIE PAPA ROMEO JULIETTE de ALFA BRAVO SIERRA TANGO, EXECUTE TO FOLLOW ECHO, STAND BY EXECUTE », « Alerte », Trois coups de klaxon retentissaient à bord, les diesels stoppaient, « Ouverture des purges 1 - 3 - 4 ». Le pacha fermait le panneau du kiosque et commandait « Quatre vingt mètres, moteurs AV 4, assiette -20, surveillez l’étanchéité, ouverture de la purge 2 et des rapides », « Les moteurs sont en AV 4  ». Le sous-marin plongeait et rapidement prenait la pointe de -20, tout ce qui n'était pas arrimé se cassait la gueule pourtant tout devrait l’être, le cuistot courrait après ses gamelles en hurlant « Bande de cons, vous ne pouvez pas prévenir. Vous boufferez sur les couilles à passetantèque ! ». Ceux qui dormaient n'avaient pas le temps de se retenir. Ils se retrouvaient dans les vannes des TLT ou dans la couchette du voisin, ce n'est pas à chaque plongée que nous prenions autant de pointe mais en général les premières plongées étaient ainsi faites du moins avec le pacha de l’époque, le LV S..., un « Guerrier !... »

 

- A 30 mètres : le maître de central fermait les rapides et en chassait l’eau qui avait alourdi le sous-marin pour descendre plus rapidement.

 

- A 70 mètres : les barreurs ramenaient la pointe vers le zéro, on dépassait légèrement les 80m pour prendre une assiette positive afin de bien purger les ballasts puis on revient à 80 mètres avec assiette 0

 

- « 80 mètres, bâtiment balancé, toutes purges fermées, ronde d’étanchéité », chaque compartiment rendait compte : « Normal à l’AR », « Normal diesels », « Fuite normale à l'Avant », comme si une fuite pouvait être normale, le maître de central prenait le bigophone et poussait sa gueulante « Bande de rigolos, vous allez voir, fuite normale mon pied au cul, oui ! ».

  

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