SOUVENIRS DE MA VIE A BORD DU SOUS-MARIN L’AFRICAINE (1955-1958)

Texte de Jean-Marie Colin (Torpilleur)

 

(Extraits 3/4)

 

 

Personnage clé : le cuistot : A. B..., dit Bébert, QM de première classe, douze ans de service, navigua quelques mois pendant la guerre aux sous-marins qui avaient pu se barrer de Toulon. C’était un squelette ambulant. Il avait des veines de partout, grosses comme des pouces, un regard globuleux accentué par des yeux bleus. A la mer, il se promenait torse nu, une serviette autour du cou. Quel tableau !

 

Il fallait faire avec, point de vue bouffe ça allait très bien, il se débrouillait pas mal, mais tout était fonction de son état au moment crucial. Il prenait trois cuites par jour, la première dès huit heures après le jus, il ne lui en fallait pas grand chose, la valeur d'une boîte d'asperges en vin rouge et c'était parti, un petit roupillon jusqu'à neuf heures trente et hop il était debout pour préparer la soupe de midi. Il est évident que le repas étant terminé, la deuxième cuite n’était pas loin. Après un roupillon l’après-midi, il était requinqué jusqu’aux soupes du soir. Après le nettoyage des gamelles, il recevait dans sa cuisine la visite de ses copains et prenait sa troisième. Alors, il allait dormir quelques heures, se levait la nuit faire le tour des quarts. Il ne se recouchait pas et il n’avait pas besoin d’être réveillé pour préparer le jus.

 

[Note de Noël Bouvet : En fait, Bébert, avait bourlingué un peu partout, il avait même été cuisinier sur le "Commandant Charcot" lors d'une expédition Paul-Emile Victor. Il s'était sans doute ramassé une maladie, peu commune, mal diagnostiquée par les médecins de la Marine qui l'examinaient. Il était insomniaque, ne se nourrissait pratiquement pas, buvait un petit coup de rouge de temps à autre pour se donner des forces, mais  pas autant que ne le laissaient croire les moqueries du bord. Il travaillait dur malgré ses problèmes de santé. Préparer en pleine mer,  par tous les temps, la bouffe pour 65 personnes dans une cuisine de 3 m² y compris les emplacements  pour le fourneau, l'évier et la table de travail, ce n'était pas facile. Pourtant, un jour, il nous cuisina pour nous faire plaisir des escargots... Je n'en ai jamais mangé d'aussi bons !

 

Où que tu sois, Bébert, sache que nous aimerions bien encore nous faire traiter de " Sales cons de biffins ! " ou encore t'entendre dire comme lorsque l'on te demandait du rab de jus :


Y'a deux sortes de gens dans la vie, ceux qui font le café et ceux qui le boivent ! 

J'suis peut être trop con pour le boire,  Mais  j'suis  trop fainéant pour le faire !

 

Fais gaffe surtout, nous n'allons  pas tarder à te rejoindre et nous emprunterons, encore, ta moque pour nous rafraîchir dans ton jerrycan de rouge...]

 

 Même entre deux vins, la cuisine se faisait, il avait l’entraînement. Parfois il avait la main lourde sur les condiments. Un jour, il avait du laisser tomber la poivrière dans la soupe, elle était immangeable ! Un d’entre nous alla à la cuisine pour demander autre chose, lui disant que sa soupe était dégueulasse, qu'est ce qu'il n'avait pas dit là ! Bébert arriva au poste avant en criant « Bande de biffins, deux jours de sous-marin et la soupe n'est pas bonne ! Si vous z’êtes pas contents, z’avez qu’à aller bouffer chez Maxim's… »

 

Il retourna vers sa cuisine en marmonnant. En passant au carré des officiers, le pacha l’entendit ruminer et lui demanda « Qu'est ce qui ne va pas B... ? ». « C’est tous des cons, la soupe n'est pas bonne soi-disant ! » Le maître d'hôtel arrivait justement avec une soupière. Le commandant dit alors : «  Ah ! Attendez, je vais voir si votre soupe est bonne ? » Et il se servit une bonne assiette. Bébert dans sa tenue de mer s'appuya contre la cloison et attendit que le pacha avale les premières cuillères, « A!ors, elle est bonne ma soupe ? » demanda Bébert. « Si, si, elle est bonne !  » fut la réponse. Du coup Bébert, resta tanqué  là, jusqu'à ce que le pacha eut fini son assiette. Puis il revint au poste avant, inutile de vous répéter tout ce que nous entendîmes, mais nous sûmes un peu plus tard par le motel que le pacha était passé par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel et que si Bébert n'était pas resté là, à le surveiller, il ne l'aurait pas mangée !

 

Revenu à Toulon après le carénage, Bébert commença à avoir des ennuis sérieux de santé, de circulation sanguine disait-on ! Il débarqua et fut affecté à l’Horloge comme cuistot à la DP (Direction du Port) chez les margats, corps de vétérans alors plutôt porté sur la pitanche, le seul endroit où il ne fallait pas le mettre. Il termina ses quinze ans, fut mis à la retraite et quitta cette terre six mois plus tard !

 

Claude Blondel et Fernand Diehl Fernand Diehl - Maître d'Hôtel Fernand vers 1953

Collection Claude Blondel (1952-1955)

Collection Claude Blondel (1952-1955)

Collection Claude Blondel (1952-1955)

 

M... était l’un des deux canonniers restés aux sous-marins. Le second servait sur l’Astrée. Il avait le rôle de commis aux vivres et l’entretien des deux canons de 20 mm. Il avait douze ans de service et avait servi en Indochine. Quand il avait un petit coup dans l’aile, ce qui était très rare, il nous racontait ce qui lui était arrivé. Pris dans une rafle dans les quartiers interdits de Saïgon, il se paya six mois de section spéciale. Ce n’était pas de la rigolade ! Tous les jours, torse nu avec un sac de 15 kg sur le dos, il faisait 40 kilomètres avec comme bretelle un fil de fer et ils nous montrait les traces sur son épaule. Quand sa section montait au combat, elle passait avant la légion étrangère avec comme seul armement : un poignard et des grenades…

 

Le Baron, surnom du QM mécanicien H..., était obsédé sexuel avec une tendance à l’homosexualité du moins pour les gestes et les paroles. Son hobby était de mettre la main au cul des collègues et de leur tâter les roubignolles, s'il était au pied d'un panneau celui qui descendait était sûr de sentir une main où je pense dès que son postérieur devenait visible et elle l’accompagnait jusqu'à ce qu’il mette le pied par terre.

 

Tout le monde à bord travaillait en combinaison bleue, un jour son chef de service l’IM M... descendit au poste avant et il eut droit à cette fantaisie pour l’accompagner jusqu'au sol. H... ne pouvait voir à qui il avait à faire. La descente terminée, il vit son chef et fut gratifié d'un hurlement :  « Alors H..., ça ne va pas la tête, il faudrait voir à vous calmer ! ».

 

Cela ne le guérit pas pour autant. Un soir il monta à l'échelle du central. Le kiosque était dans le noir, du moins en lumière rouge très faible, et il y avait quelqu'un devant lui, il lui mit la main au panier et l’accompagna jusqu'en haut à l’arrivée. C’était le pacha, qui lui demanda alors son nom, il bredouilla « H.. ». « Ça va pour cette fois, mais c'est la dernière, bien compris !  », « Oui, commandant ! » répondit-il tout penaud.

 

Des gars particuliers, il y en avait d'autres :

 

- A. L..., QM1 mécanicien, un grand mec avec des mains comme des battoirs ressemblait à un orang-outang, une force de la nature, personne ne pouvait desserrer un boulon serré par lui sans prendre une rallonge. Il arriva aux sous-marins après un exploit personnel. Chauffeur de l’amiral à Alger, il descendit les escaliers qui menaient au port au volant d'une Traction Avant 15 ch, 6 cylindres, ce qui lui valut 30 jours de taule. Avec nous en bordée, il mit également une 4 ch Renault entre deux arbres !

 

- G... QM1 électricien était notre chanteur d'opéra numéro un, notre musicien, notre trompette. Une java à Calvi avec les bérets bleus (commandos interarmées), nous amena à pénétrer dans leur fief à la citadelle, après un dernier pichet, nous partîmes en leur fauchant un clairon. Gilbert s'en empara à bord et nous fit des concerts de trompette. Il était très fort car un clairon c'est vraiment rudimentaire. Quand deux bateaux de guerre se rencontrent, le plus petit salue le plus gros. Pour les mêmes types, c'est l'ancienneté des pachas qui comptent. Bref, nous croisons le bateau amiral de l’escadre, le pacha fit appeler Gilbert qui balança le salut au clairon au lieu du sifflet traditionnel. Nous sûmes par la suite que l'amiral fut très surpris.

 

Il y avait encore d'autres individus étranges, H. L... timonier ombrageux et taciturne sortait rarement en groupe mais nous le rencontrions quelque fois dans les bars à Lorient. Au port de pêche, tous les patrons de bars étaient passés par ses fantaisies, il s'accoudait au zinc, commandait un cognac, le buvait tranquillement et mangeait le verre. Nous-mêmes avions été surpris les premières fois mais il fallait voir la gueule des mecs, surtout qu'il faisait çà stoïquement sans bouger un sourcil et en regardant le patron qui torchon sur l'épaule, s'arrêtait d'essuyer ses verres et le regardait tout étonné. « Combien je vous dois ? » disait-il à la fin, il payait et sortait, laissant sur le zinc le moignon du verre à cognac. Mais tout le monde réuni, nous formions un bon équipage et j'étais heureux d'en faire partie.

 

Un bon groupe de copains Destermes dit La Fouine Roby Delgrange et J-M. Colin
Collection Claude Blondel (1952-1955) Collection J-P Nollot (1955-1958) Collection J-M Colin (1955-1958)

 

 

[ L’encadrement ] 

 

Les officiers mariniers, dits Les Bœufs, hors de leur présence, avaient presque tous fait la guerre et étaient plus portés sur le picrate que sur la limonade. Pourquoi les appelaient-on Les Bœufs ? Du temps de la marine à voile, la viande était embarquée sur pied et était mieux logée que l'équipage. Quand petit à petit, les améliorations permirent de ne plus embarquer les bêtes vivantes, les compartiments libérés furent transformés et donnés aux officiers mariniers. Pris un par un, ils étaient tous différents. De service certains étaient de vraies peaux de vache, par contre à terre ils payaient volontiers leur coup et se laissaient même tutoyer. D’autres au contraire, nous laissait aller boire une bière au foyer ou nous la donnait à bord. Dans tout ça, il fallait savoir baliser et faire avec, je m'en tirais très bien et jouais avec ces gens en fonction de leur caractère. J’avais vite compris que pour être peinard, il fallait être de l'avis des chefs et n’en faire qu'à sa tête, sans dépasser les bornes bien sûr ! Le patron torpilleur L... était sympa, mais il n'était plus là pour longtemps, il allait suivre le cours de détection sous-marine, une nouvelle spécialité qui se créait. C’était un bon buveur !

 

Une nuit le pacha, mécontent de son équipage, le mit au poste de combat, sous-marin posé sur le fond, nous étions à Calvi et tout le monde avait un petit coup dans l'aile, le poste de combat était une punition collective. Tout le monde roupillait, quand il vit cela il envoya un officier faire le branle-bas, le père L..., pas content du tout, se coucha dans sa bannette. Nous fîmes comme lui et cette fois c'est le pacha lui-même qui vint à grands coups de pied au cul nous remettre debout, passant au poste des officiers mariniers, il s'aperçut que L... était dans sa bannette, son sang ne fit qu'un tour « L..., je vous ordonne de vous lever immédiatement, sinon, je vous mets aux arrêts de rigueur pour abandon de poste. » Le patron se retourna et lui dit « Je vous emmerde ! » et continua de dormir « Très bien, vous aurez 8 jours d’arrêt ! » Le lendemain, ils s'expliquèrent. L’un s’excusa, l’autre retira la sanction. Il y avait un sous chef torpilleur, SM P... surnommé La Pouliche,  un bon breton qui se foutait de votre comportement extérieur à condition que le boulot à bord soit bien fait. Rentrant de terre bien fatigué, il me mit pendant le poste de propreté dans le légumier de la cale où je pus finir ma nuit ou du moins la commencer.

 

Quand il débarqua, le Maître V... le remplaça, Je le connaissais, il était chef d'une série pendant notre cours sur le Suffren. C’était un très jeune maître avec sept ans de service, il commandait des QM1 qui avaient trois ans de service de plus que lui. Ce ne fut plus le même folklore, il n'avait pas les mêmes idées que les anciens, la nouvelle marine se pointait à l’horizon. Point de vue boulot, il n'était pas trop emmerdant mais dans ses autres fonctions, maître de service, maître de central, ce n'était pas un rigolo. Nous n'avions pas les atomes crochus et sans le vouloir, je l’ai déboulonné de son poste de combat, un QM2 qui élimine un Maître çà ne passe pas inaperçu d'autant plus que l’on me considérait comme un bon élément et qu’il ne faisait pas l'unanimité dans le poste des officiers mariniers, ils en firent des gorges chaudes et il m'en voulut toujours un peu, à partir de ce moment là. Mais, j’étais le plus ancien torpilleur du bord et il avait besoin de moi pour que çà tourne rond. Nous formions une équipe solide avec R.B..., C.C... et J-P.N...

 

Un officier marinier se détachait du lot. Le patron du pont, le premier maître G..., chef de quart et responsable de la comptabilité du bâtiment, de la manoeuvre, de la timonerie, du casernement (couchages, bancs et tables, etc.) et surtout de la bouffe. Comme il était gros, vraiment gros, nous l’avions surnommé Jonas. Il nous rationnait sur le pinard, mais ne s'en privait pas. Nous ne l'aimions guère et dès que nous pouvions, nous lui tirions dans les pattes. Le QM U... ne pouvait le sentir et un jour alors que nous rentrions à Toulon après une escale à Bizerte, voyant Jonas s'empiffrer de beurre alors qu'il avait interdit au cuistot de nous en donner, il ne pût contenir sa colère. Il prit son couteau à cran d'arrêt et fonça sur lui en hurlant « Je vais te crever pourriture ! », et il l’aurait  fait si au passage un OM ne l’avait désarmé. Crevant de trouille, G... se réfugia au carré. L'affaire était grave, le pacha prit la décision de rentrer sur Tunis pour débarquer U... En attendant, il le fit enfermer dans le sas nageur avec un factionnaire en armes au pied de l'échelle d'accès. Le piquant de l'histoire est que nous avions déjà fait 8 heures de route donc : 8 heures pour revenir sur Tunis et encore 8 heures pour se retrouver au point de départ. L’arrivée à Toulon prévue le samedi à 8 heures se transforma en dimanche 8 heures car le pacha ne voulu pas s’amarrer à une heure du matin. Tout le monde était de mauvais poil, on ne revit pas U... à bord, il purgea un mois de prison et fut renvoyé dans ses foyers. Jonas se distingua une nouvelle fois dans la redescente sur Toulon après le grand carénage. Nous étions au large de San-Sebastian, les chalutiers espagnols étaient en pêche, le pacha se dit « Pourquoi ne pas faire un bon repas de poissons ? » Il demanda à la passerelle si quelqu'un connaissait l'espagnol, le patron du pont répondit « Moi je parle espagnol !  » Bon alors on y va et nous approchons d'un chalutier. Voilà notre bonhomme prenant un mégaphone et criant «Accostos babordos, poissonnos, vinos ! » Nous étions une quinzaine à la passerelle, quelle crise de rire ! N'importe qui aurait pu dire çà, les espagnols ne comprenaient rien et commençaient à s'inquiéter de voir un sous-marin voulant les accoster, ils finirent par comprendre et l'échange put avoir lieu : poissons contre pinard et cigarettes et nous reçûmes de grands saluts à notre départ. Sacré Jonas !

 

Le Chalutier Espagnol d'Accostos babordos...

 Collection J-P Nollot (1955-1958)

 

Le poste des officiers mariniers se trouvait entre le carré des officiers et le poste avant de l'équipage, ils n'avaient pas un rôle facile, ils servaient de tampon, devaient faire la part du feu, défendre les uns, amadouer les autres, dans l'ensemble c’étaient des responsables et d'une haute technicité. Ils avaient leurs défauts c'est sûr, mais ils étaient le maillon principal d'un équipage et encore plus sur un sous-marin.

 

LV Dupasquier (officier torpilleur) Rafi détecteur et Dupasquier
Collection R. Bouyer (1955-1958) Collection R. Bouyer (1955-1958)

 

Sur mes officiers de service, je n’ai rien de particulier à dire. J'ai toujours bénéficié de leur confiance et ils ont été francs envers moi. Il m’est impossible de me rappeler le nom du premier, il me reçut dans son bureau pour me dire que je pouvais changer de spécialité et prendre celle de détecteur ASM. Je réunissais les conditions, cependant il me mit en garde, me disant qu'avec mon certif, c'était bon pour franchir le premier cours mais que par la suite je ne pourrais plus être reçu au concours du BS (Brevet supérieur). Il me conseilla de rester torpilleur et que là je pourrais avoir un avancement correct. Il me donna le choix, je n'ai pas hésité. J’avais déjà entendu parler de ces cours, aussi j’ai répondu. Le LV J... son remplaçant était un gars discret, il avait jugé que ses hommes étaient capables de se débrouiller sans lui, alors il ne se montrait que rarement à bord et nous fichait une paix royale. Il refusa ma demande pour l'ENSM (Ecole de navigation sous-marine) avec des points à la clé pour l'avancement en me donnant comme motif « Vous le passerez en direct pendant le carénage à Lorient et vous ramasserez plus de points  » Cela s’avéra exact, au cours les meilleurs prenaient dans les 80 points, j'en ai récolté 125.

 

  Claude Charron et Jean-Paul Nollot
2ème rang, au centre
 
   
  Collection J-P. Nollot (1955-1958)  

 

Au départ de Toulon pour Lorient, un pari fut engagé entre lui et la Pouliche. Celui-ci paria que J... ne trouverait pas l'atelier des torpilleurs avant 3 mois au moins, un apéro pour le service était en jeu. Ils ne risquaient pas de se ruiner, nous n’étions que six, plus six ouvriers de l'arsenal. Ceux-ci étaient au courant du pari, notre atelier était une immense pièce sous les voûtes bétonnées d'un des trois bâtiments de la base sous-marine de Kéroman. Le matériel y était entreposé en attendant d’être révisé. Après la révision, nous devions également l’entretenir nous-mêmes. Le sous-marin était sur slip dans une alvéole à l'entrée du bloc et notre atelier était à l'autre bout. La Pouliche ayant fait le carénage précédent connaissait 3 itinéraires pour y accéder. Si nous avions un doute d'être suivis, nous ne montions pas. J... mit 4 mois pour nous repérer et il dut payer son coup, pas un simple apéro mais du champagne.

 

Carénage 1956-1957 L'Africaine et son slip ! Carénage 1956-1957
Collection J-M Colin (1955-1958) Collection J. Jalouneix (1956-1957) Collection J-M Colin (1955-1958)

 

 

Les autres officiers ne me concernaient pas, sinon dans leur rôle d'officier de quart, ils étaient 4 en comptant le patron du pont. Ils prenaient leur service par quart, si bien que nous n'étions pas toujours avec le même, mon chef en faisait partie. Les 02 (Officiers en second) étaient les remplaçants du pacha. A quai, ils étaient pratiquement les commandants. Ils étaient responsables de la préparation du sous-marin à la navigation, de l'entraînement du personnel et de son renouvellement à la mer. Ils étaient responsables de la pesée et de la sécurité en plongée. Ils ne faisaient donc pas de quart à la mer et avaient beaucoup de temps libre. Le premier que j'ai connu le LV P.B... était aussi peu gros et gras que notre cuistot Bébert. Il n’était pas très embêtant, pourtant avec un pacha que l'on a eu, il aurait pu devenir vache ! C’était un vieux de la vieille bien sympa. Cela ne le dérangeait pas d’aller, comme tout l'équipage, de temps à autre emprunter la moque à Bébert pour boire un petit coup de rouge au jerrican à l’entrée de la cuisine.

 

LV Patrice Basse au centre ancien O2 de l'Africaine
Eugène Choppin QM1 radio ancien de l'Africaine

 (Collection Gégène Ouardat - Argonaute 1959)

 

Son successeur Le LV B... ne bougeait pratiquement pas du carré et on s'est toujours demandé ce qu'il était venu faire là. Je crois même qu'il n'a jamais eu un commandement de sous-marin alors que la fonction d'02 était le tremplin pour être pacha. C’était le poste le plus ingrat pour un officier car il était responsable de tout, devait penser à tout, mais seul le pacha avait le droit de décision à la mer. C’était lui qui provoquait des simulations d’avaries pour entraînement afin que nous soyons prêts à réagir à des problèmes réels, il déclenchait également des exercices de sécurité (incendies et voies d'eau). Il était rare de trouver une harmonie entre le pacha et l’O2. Le premier pouvait être con et le second sympa ou vice versa. A la mer, il aurait mieux valu que le pacha soit sympa, par contre à terre, il aurait été préférable que ce soit l'02. Malheureusement, nous ne pouvions pas les inverser, alors nous les prenions comme ils étaient et dans mes 12 ans de navigation je ne suis jamais tombé sur un cas extrême.

 

J'ai eu 3 commandants, le premier le LV S... était ce que l'on peut appeler « Un Guerrier », c'est à dire un homme qui tirait le maximum du bateau et de son équipage sans s'occuper de la casse. Nous plongions presque toujours avec des -20, -30, de pointe, voir plus, comme çà pour s'amuser. Si bien qu'une fois on avait même plus de référence, l'indicateur d'assiette était bloqué à -35, les -40 avaient été atteints. Les accus des batteries avaient déversé et il fallait plus de -40 pour que cela se produise. Il n'était pas trop fier, car les électriciens eurent un sacré boulot pour les remettre en état. C'était impressionnant de voir les gars dans la coursive qui étaient au dessus de nous et dans ce sens la descente était rapide. Tout le monde pensait « Pourvu que le bateau se redresse à temps ! ». On zieutait les manomètres d'immersion, dans l'autre sens on s'en foutait, à moins de faire surface sous un cargo ! S... était distant et parlait sèchement, nous ne l'aimions pas mais je dois reconnaître qu'il était juste, ne punissait qu'à coup sûr et pour les notations tous les 6 mois, ce que l'on appelait « La Chambre », il était correct, son jugement était bon et il n'y avait guère de contestations. Dommage qu'il n'avait pas la manière avec les hommes.

 

Aux commandes des barres de plongée Zeff aux pompes à huile des paliers Delaguillaumie au tableau des chasses
(Collection Roland Bouyer 1955-1958) (Collection Roland Bouyer 1955-1958) (Collection Roland Bouyer 1955-1958)

 

Dans les exercices, il nous en faisait baver, parfois, deux postes de combat dans la nuit. Un jour que nous appareillions pour une destination inconnue, sans torpilles mais les tubes pleins de réservoirs d'essence, de dinghys pliés avec leurs moteurs, des charges de plastic et, pour accompagner le tout, 20 gars du 10ème choc de Collioures. Le plein en munitions avait été fait et nous avions embarqué les deux canons de 20mm. Où allions-nous ? Mystère ? Le pacha ne nous avait rien dit, mais nous voilà le lendemain, le cul à quai à Calvi. Impeccable, pensons-nous, nous allons faire une sortie et revoir les potes des bérets bleus. Mais on entendit « Tout le personnel au poste avant ! ». Chacun accourt, enfin nous allions savoir ce qui se passait, le pacha arriva et nous dit : « Pas de permissionnaires, nous sommes ici pour un entraînement intensif. Nous devons arriver à sortir 20 commandos et tout leur barda en moins de 4 minutes, de nuit, tous feux éteints et en demie plongée. Nous commençons ce soir, appareillage à 20 heures. Nous nous poserons sur le fond dans la baie de Calvi et nous ferons surface à la nuit tombée, les chefs de service prendront leurs hommes et leur expliqueront ce que l'on attend d'eux. Je vous demande d'être le plus coopératif possible afin de mener à bien cette mission, merci ! » Tout ceci fut dit sur un ton sec, nous voilà mal barrés. Enfin à la guerre comme à la guerre, nous verrions bien.

 

Pour mon compte, cela ne me déplaisait pas. J’étais chargé de la mise en oeuvre d'un canon de 20 mm et j'en étais le tireur, entre parenthèses, je ne savais pas m'en servir mais comme nous étions là pour nous entraîner, je supposais qu'il y aurait des séances de tir dans la nuit, nous fîmes surface sans vidange et le poste de combat commando se mit en branle. Je ne vous raconterai pas toutes les péripéties mais il fallut 12 minutes pour éjecter toute l’équipe. Le pacha fit une communication générale disant qu'il n'était pas content que pour cette nuit nous en resterions là, mais que pour les suivantes il y aurait des postes de combat à courir jusqu’à ce que l'on atteigne le temps prescrit. Ce qui fut fait jusqu'à trois dans la même nuit ! Les temps s'amélioraient bien. Tout le monde râlait, les OM en particulier, « Il nous prend pour des cons, il pourrait nous dire ce qu’il y a derrière tout çà, on n’est plus des gamins. » et j'en passe. Toute la journée, nous restions à quai, les gens de Calvi étaient étonnés de ne pas voir de permissionnaires et se demandaient pourquoi. C'est pendant cet exercice qu’il y eut ce fameux poste de combat toute la nuit, où il est venu nous botter les fesses pour nous tenir éveillés. Pendant une journée, il y eut entraînement de tir aux canons de 20mm. Je me suis bien débrouillé. Après 8 jours, nous sommes arrivés aux 4 minutes prévues et après deux autres essais concluants le commandant s'adressa à l'équipage. « Je suis satisfait, votre travail est bon, j'ai reçu un message, nous allons en direction des côtes algériennes pour débarquer le commando du 10ème choc de Collioures, nous partirons demain à 8 heures. Je vous demande le secret le plus absolu sur cette mission. » Après cette directive, nous étions contents, tout ce travail n'était pas pour rien mais je pense que si nous avions su son but dés le départ, cela se serait passé nettement mieux, mais nous voilà partis pour la vraie guerre : piti clac boum tchip, piti clac boum tchip,…

 

Pas pour longtemps hélas, les ordres arrivèrent : « Demi-tour sur Toulon ». Le coup que nous devions faire était éventé. L’école de fellaghas que nous devions anéantir avait mis les bouts, avertie que nous venions la déloger ! Comment ? On en a beaucoup discuté à tous les niveaux et l'idée générale fut qu'il y avait eu une erreur du commandement. A Calvi, il y avait des arabes. Tous les jours, ils pouvaient voir un sous-marin appareiller la nuit en embarquant des commandos qui ressortaient le lendemain matin pour aller à la citadelle se reposer. Pas de permissionnaires, tout ceci a du paraître louche. Le FLN (Front national de libération) avait certainement été averti que quelque chose se préparait, ils déménagèrent tous les endroits où nous pouvions intervenir de la mer. Tout l'équipage fut déçu, moi un peu moins que les autres car je m’étais bien amusé avec mon canon de 20 mm.

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