SOUVENIRS DE MA VIE A BORD DU SOUS-MARIN L’AFRICAINE (1955-1958)

Texte de Jean-Marie Colin (Torpilleur)

 

(Extraits 4/4)

 

A Bizerte dans l'attente d'une intervention dans la guerre entre israéliens et égyptiens, nous changeâmes de commandant. Le LV A... de W... fut désigné pour remplacer le LV S..., le cérémonial se déroula à la Pêcherie, port militaire de Bizerte. A l’époque la Tunisie était encore sous protectorat français, mais plus pour longtemps. L’équipage s’aligna sur trois rangs. En regardant de face, on trouvait en partant de la gauche : les officiers, les officiers mariniers et les matafs par grades décroissants. L’O2 ordonna « Garde à vous ! », le pacha quittant passa sa dernière inspection. Il serra la main aux officiers, mais arrivant aux officiers mariniers il y eut un clash. Il tendit la main au premier qui fit semblant de ne pas la voir et resta figé au garde à vous. Il passa au second, idem, au troisième, pareil. Voyant cela, il continua son inspection sans retendre la main.

 

L’inspection finie, il s'éloigna et on le vit les larmes aux yeux. Il se ressaisit et déclara « Je suis fier d'avoir commandé l'Africaine et de vos bons et loyaux services, je ne croyais pas avoir été aussi dur envers vous, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, bonne chance à tous. » Normalement nous aurions du répondre en chœur « Merci, commandant ! ». Là rien, le silence, l'amiral du secteur arriva, l’ancien commandant se mit à sa gauche, le nouveau à sa droite, nous nous mîmes au garde à vous, l'amiral désigna le LV A.D.W. et clama « Équipage du sous-marin Africaine, vous reconnaîtrez désormais pour Commandant le lieutenant de vaisseau A.D.W., ici présent, pour le bien du service et les armes de la France. » Il serra la main au promu et à l'ancien et retourna dans ses bureaux accompagné du quittant. Le nouveau pacha nous passa en revue, nous fûmes présentés un par un par l'02 avec les commentaires selon les fonctions occupées à bord. Il avait une bonne tête, mais à bord personne ne le connaissait !

 

Normalement l'ancien pacha offrait un pot après la prise de commandement, ce qui permettait au nouveau de faire plus ample connaissance avec l’équipage. Pour des horaires d'avion pour son retour en France, il le fit 2 jours avant. Du côté des officiers mariniers personne ne voulut y aller. Voyant cela, il envoya l’02 pour leur donner l'ordre de venir, les deux tiers des OM se décidèrent quand même, ce ne fut pas folichon et il n'y eut pas de cadeau. Ce fut certainement la cause du non serrement de mains, on ne peut obliger les gens à boire un coup s'ils n'en ont pas envie, ce n'est pas prévu au règlement.

 

Je n'ai pas eu à me plaindre de lui, pour la première chambre j'eus 15/15 deux notes représentant le travail et le comportement militaire, ce sont les chefs directs qui les proposaient, mais le commandant pouvait les monter ou les descendre en fonction de ce qu'il avait jugé par lui-même, pour une première notation c'était très bien. Normalement on commençait à 13/13, à la deuxième il me mit 16/16, donc pour moi S... était un bon pacha. Il est vrai que j’étais un des rares à ne pas râler !

 

A.D.W. était un père de famille, faisant le boulot qu'on lui demandait, sans plus. Pas guerrier du tout, quel changement dans les exercices, il n’aimait pas les pointes trop importantes, il mettait même au poste de combat par tiers pour ne pas réveiller tout le monde la nuit, malheureusement, il eut des ennuis de vue qui l'obligèrent à quitter son commandement et même la marine.

 

Après 6 mois, nouveau cérémonial pour accueillir le LV A.D.D.T., au début du carénage à Lorient, nous le vîmes à la prise de commandement puis disparition du pacha jusqu’à la mise à l'eau avant les essais, c'est à dire 8 mois. Il ne nous avait pas fait bonne impression au premier abord, très maigre, teint maladif, pas causant. Ce fut un bon commandant et j'ai eu plaisir à servir sous ses ordres d'autant que j'étais un de ses chouchous et que ma carrière s'en est ressentie.

 

Le pacha Darodes de Tailly Lecerf - Delaguillaumie - Hollander Un mécano au turf ?
(Collection J-M. Colin 1955-1958) (Collection J-M. Colin 1955-1958) (Collection Roland Bouyer 1955-1958)

 

 

[ Mon boulot à bord ] 

 

Je vous ai conté la vie de sous-marinier, le caractère de quelques individus, maintenant voyons mon boulot. Qui étais-je à bord, et comment ai-je vécu ces 3 années sur l'Africaine. J'embarquais comme matelot torpilleur et pensais m'occuper uniquement des TLT (tube lance torpilles). J’étais bien loin de savoir ce qui m'attendait. Une fois les torpilles aux tubes, il n'y avait plus rien à faire qu'à attendre de les lancer. Mais un bateau  navigue et il faut le servir. Je fus incorporé à un tiers de quart qui sur un organigramme me donnait tous les postes auxquels je devais participer. De quart en surface : j’étais veilleur à la passerelle (jumelles autour du cou je devais surveiller et annoncer tout ce que je voyais sur la mer et dans les airs, bateaux, troncs d'arbre, bouées de signalisation, avions, etc.), puis barreur de direction, je conduisais le sous-marin, un gyrocompas me donnait le cap et à l'aide d'un levier je commandais la barre de direction pour tenir le cap ordonné, j'avais également la commande des moteurs électriques, j’étais seul dons le sas d'accès à la passerelle et étais en liaison par porte voix avec la passerelle et le central opération. A la prise de plongée, je prenais également la barre de plongée avant, puis je tournais successivement à la barre de direction et à l’écoute sous-marine. Il y avait quatre postes, le quart était divisé en quatre fois une heure par poste. Au poste de manoeuvre, j’étais sur la plage avant, au poste de combat servant de TLT au poste avant, au poste de propreté j’étais également au poste avant.

 

Dans toutes ces activités, il y avait des postes clés, je les occuperai tous, souvent sans les avoir cherchés, grâce au hasard (maladie du titulaire, attaque impromptue avec pas le temps d’une mise ou poste de combat, etc.) Évidemment, le commandant s'apercevait alors que certaines personnes faisaient mieux l'affaire que d’autres. Il y avait des changements et des grincements de dents. Les postes clés étaient dans la spécialisation de torpilleur « Chef du poste avant », aussi bien dans la spécialisation que dons la responsabilité du poste équipage (ambiance, propreté, correspondant privilégié de l'02). Pour la conduite du sous-marin « barre de direction au poste de manœuvre, barre avant au poste de combat, écouteur au poste de combat ». Prenons ma spécialité, j’étais servant de TLT. Je faisais les manoeuvres préparatoires ou lancement sous la surveillance du QM 1 chef de poste. La Pouliche notre SM est patron du poste avant (pour les lancements et la sécurité et notre patron V... qui était responsable de l'écoute, se trouvait dans le sas de 20 mm et armait le G 16. Je restais 4 mois à ce poste et passa ensuite chef des tubes canons, 2 TLT dont la commande était au carré. J’avais à les entretenir et à assurer les lancements. Il était rare d'embarquer dons ces tubes (4 torpilles lancées en 3 mois). J’étais seul avec le motel donc peinard, le pacha préférait embarquer dans les tourelles pour ses visées c'était plus facile. Il n’était pas obligé de faire changer le cap pour mettre l'avant du sous-marin vers le but. En navigation normale, je me faisais la main à la barre de plongée avant. Cela me plaisait et j'essayais de fignoler.

 

Un jour de mauvaise mer le pacha fit une attaque fictive sans poste de combat, j’étais à la barre avant à tenir l'immersion de 13 mètres par mauvais temps ce n’était pas facile mais cette fois on avait bien tenu et le pacha était venu nous dire sa satisfaction. Le copain titulaire du poste débarqua et le pacha me désigna comme barreur de combat, je suis resté à ce poste jusqu'au carénage. Pendant ces 10 mois passés à quai, j’ai passé mon examen direct de sous-marinier, celui-ci me permettait de passer quartier maître de service. Ce titre me donnait le droit de remplacer le maître de service pendant ses absences repas ou autres et surtout de ne plus faire de quart de nuit au mouillage. Vous deviez être capable de déplacer le sous-marin avec le tiers de service, j'ai eu l'occasion de faire un changement de poste. Après le grand carénage, il y eut beaucoup de mouvements de personnel, à la reprise de navigation, j'étais chef de la tourelle milieu dont la commande était entre les deux diesels, les mécanos n'étaient pas contents car à chaque lancement de l'eau de mer giclait sur leurs moteurs mais je n'y pouvais rien, c'était comme ça ! Je n’y suis pas resté longtemps et ce fut la tourelle arrière au poste de combat. Je n'avais plus à me déplacer. Sans lancement je pouvais même rester dans ma bannette. A.D.D.T. était un guerrier pour lui-même, dés qu'il voyait un bateau civil ou militaire, il l’attaquait fictivement sans mettre l’équipage au poste de combat.

 

Durant un quart de 0 à 4 je me trouvais à l'écoute, nous attendions l'escadre, j'aimais l'écoute mais les collègues du tiers l'exécraient, il m'arrivait de faire les 4 heures aux 2 appareils que possédait le bord. Le G16 et un vieux zinzin qui faisait plus de bruit de par sa mise en fonction que celui des bateaux que l'on écoutait, j'étais sur celui-là justement quand vers 2 heures j'entendis un bruiteur (dénomination des bateaux) très faible, avant de l'annoncer j'attendis un moment pour m'assurer que ce n'était pas un bruit fixe. Non c'était bien un bruiteur, il se déplaçait seulement de quelques degrés mais il défilait. Il devait être très loin, je changeai alors d'appareil et ne le trouvait pas. Je repris l’écoute au vieux, et après m’être réhabitué à ses bruits parasites, je retrouvais mon bruiteur qui avait encore bougé un petit peu. Sûr de mon coup, j'annonce à l'officier de quart « Bruiteur au 092 ». Il me demanda si j'en étais sûr. Après ma confirmation, il fit réveiller A. D.D.T.  Il était 3 heures et demie, le pacha prit les écouteurs et bien entendu ne perçut rien. Confiant, il me demanda de le suivre. A 4 heures, les écouteurs furent pris par la relève de quart et je suis allé me coucher. Mon remplaçant qui n'avait pas encore décoincé, essaya de trouver le bruiteur, le pacha était conscient qu'un gars qui se réveille doit se faire l'oreille mais au bout d'une demi-heure il n'entendait toujours rien. A.D.D.T. me fit réveiller et me demanda si je voulais bien reprendre le manche. Je ne pouvais refuser étant le découvreur. Je remis le casque, me refis l'oreille et le bruiteur était toujours là, mais il avait encore évolué. C’était bon signe, quand un bateau est très loin et qu'on l'écoute en permanence on n’a pas l'impression qu'il se rapproche, mais avec l'interruption je me rendis compte qu'il était beaucoup plus prés. Avant d’ordonner le poste de combat, le pacha fit réveiller le motel pour qu'il tienne le graphique de défilement du but, il me demanda de donner des gisements plus souvent. J’étais en liaison téléphonique avec le motel et toutes les 20 secondes j'annonçais 238­240-243-245 et ainsi de suite, ce qui donnait sur le graphique une belle courbe, Adhémar donnait de fréquents coups d'oeil et jubilait (Je l’ai su après !). Comme le but se rapprochait, je donnais encore plus souvent les gisements.

 

A 7 heures 30, l’ordre « Au poste de combat ! » fut donné. Je m'apprêtais à regagner mon poste et à passer la suite à mon patron quand A.D.D.T. me dit « Colin restez à l'écoute pour ce poste de combat. » J’ai donc continué. Le pacha eut le temps de bien se placer et il fit un carnage, coula 3 bateaux (fictivement) avant de se faire repérer et réussit à s'échapper. Dés l’ordre donné de rompre du poste de combat, je suis allé enfin pioncer un peu. Depuis minuit, j’étais sur le tas.

 

A 11 heures le Maître V... et le QM Colin furent demandés au carré. Surpris, je m'y rendis, V... y arrivait également. Le pacha annonça «  Dorénavant Colin sera écouteur au poste combat. ». V... protesta. «  C’est ainsi, lui fut-il, répondu vous le remplacerez par quelqu’un d’autre et vous regagnerez le poste avant comme chef de tranche. » De ce jour V... m'en a voulu, mais il finit par comprendre que je ne l'avais pas fait exprès, que c'était vraiment un hasard. Je fus déboulonné à mon tour, non pas par manque de connaissance mais parce que la spécialité de ASM était née et qu'en embarquant, les détecteurs prenaient d'office les postes les concernant. J'oubliais le jour de mon exploit, A.D.D.T. m'invita à 13 heures à boire le champagne au carré.

 

Par hasard toujours, je devins barreur de direction au poste de manœuvre. Le bosco (quartier maître de manoeuvre) qui de par sa spécialité était le titulaire, tomba malade. A la rentrée au mouillage, j’étais de quart à la barre de direction au moment de rentrer dans les passes, le pacha qui avait été prévenu m’ordonna de rester à la barre. Au poste de manœuvre, il fallait décoincer, les ordres arrivaient en rafale,«Td (tribord) AV 2, Bd (bâbord) AR 3, Barre 15 à gauche, stoppez, moteurs AV1, à droite 10 et ainsi de suite. Vous n'aviez même pas le temps de répéter l'ordre qu’il changeait. Le bosco n'avait pas une très bonne diction, par contre j'ai toujours eu une voix forte et claire aussi le pacha me mit barreur de direction au poste de manoeuvre jusqu'à mon débarquement. L'avantage était important lors des escales je ne salissais plus mes blancs à tirer sur les aussières. J'ai accepté tous ces postes avec plaisir d'autant que les gars que je remplaçais ne m'en voulaient pas, même souvent çà leur tirait une épine du pied, car ils se faisaient engueuler. Tout le monde ne peut pas réagir au quart de poil. Je ne sautais pas comme on dit vulgairement, comment aurais-je pu me douter que le bosco ne faisait pas l'affaire alors que j'étais sur la plage avant, que j'étais meilleur écouteur que mon patron. Non, ce furent bien les hasards de la navigation qui me propulsèrent à tous ces postes de responsabilité. J'en ai récolté les fruits, à la 4ème chambre, j'étais au maximum 19/19. Un 20 ne pouvait être donné que sur un témoignage de satisfaction d'une haute autorité, être intervenu efficacement sur un incident de plongée, sauver la vie d'une personne, etc. Le 19/19 amenait obligatoirement des points complémentaires, un nombre était alloué à chaque bâtiment à charge au commandant de les répartir pour une première de 19/19 c'était 10 points assurés. Mais comme c'était à la diligence du pacha, il pouvait aller jusqu'à 30, de ce fait vous vous démarquiez de vos collègues pour l'avancement, car celui-ci était le même pour tout le personnel de la marine. Un sous-marinier devenait officier marinier, au moins 3 ans avant un surfacier. Je ne vous parle pas de ceux qui étaient en poste à terre !

 

L’avancement dans la marine était un vrai poème, il était aléatoire comme ce n'est pas possible. Il se faisait tous les 3 mois par un tableau qui sortait les premiers janvier, avril, juillet, octobre. Il fonctionnait uniquement pour les besoins dans la spécialisation. Par exemple, s’il fallait beaucoup de QM torpilleurs au 1er avril, la barre était fixée à 250 points,  tous les matelots torpilleurs qui avaient 250 points étaient promus. S’il en fallait moins au 1er juillet 350 points devenaient nécessaires. Les points étaient récoltés au passage de la Chambre (tous les 6 mois) A la sortie des cours, aux performances sportives (ne rigolez pas vous verrez que c'était très important pour mon cas personnel), la mention Sait Nager rapportait 40 points que je n'ai jamais eu ! J’ai du être le seul marin à ne pas l'obtenir après 32 ans de service dans la marine. Pourquoi ? Parce que l'on ne m'avait jamais appris à nager et qu'avec ma tête de cochon, je n'ai jamais pris de cours !

 

En changeant de niveau d'instruction, j’obtins 80 points pour le niveau 3, correspondant au BEPC. Un an après ma sortie de cours, je passais QM2 à 290 points et j'avais 290 points tout juste. A la Chambre de fin juin, j’avais 287 points, les performances sportives m’apportèrent le maximum pour mes 90 kg puisque je récoltais 3 points sur 20, donc je disposais d’un total de 290 points. Le tableau d'octobre afficha « QM2 torpilleur 290 », c'était dans la poche. Ouf, quelle joie ! Je me foutais du sport... Mais au lieu d’obtenir 3 points, je n’en aurais obtenu que 2 je serais resté à la porte et cela aurait eu une grande incidence sur ma carrière car la fois d'après je n'en aurais pas eu assez et aurais du attendre plus d'un an pour passer. Quand vous saurez qu’à chaque passage de grade, les points supplémentaires étaient perdus, que nous devions repartir à zéro à chaque fois, vous comprendrez que moins de temps nous restions à un échelon, plus le grade maximal devenait accessible en fin de carrière.

 

Ma navigation sur l’Africaine a été un grand plaisir, j'étais sous-marinier et fier de l'être. J’en ai bavé question boulot mais à cette époque je ne me posais pas de question, du reste, m’en suis-je posé d'ailleurs un jour ?

 

A Port Lyautey (1956) En visite à Séville (1957) Excursion à Vizzavona (1956)
(Collection J-P Nollot 1955-1958) (Collection J. Jalouneix 1956-1957) (Collection J-M. Colin 1955-1958)

 

Il y avait des escales qui compensaient. A peine embarqué que c'étaient Calvi, Ajaccio avec excursions sur le col de la Vizzavona et les calanques de Piana. Nous y avons admirés de très jolis paysages. Nous étions dans un camion de l'armée de terre, sur des routes peu larges et côtoyant des précipices très impressionnants à voir de l’arrière du camion dans le vide dans les virages, surtout quand il fallait manoeuvrer pour les prendre. Les escales sur Bizerte n’étaient pas terribles car les tunisiens étaient dans leur phase d'indépendance et ne nous aimaient guère. J’en profitais pour aller voir l'aéronavale du secteur et assister à des tirs sur cibles terrestres. La tournée au Maroc de 45 jours reste un bon souvenir, Casablanca, Safi, Port Lyautey, Tanger. Nous devions aller jusqu'à Dakar mais notre trop faible vitesse nous en a empêché ! A Port Lyautey, nous fûmes reçus à la base française. Le Maroc était encore sous protectorat, mais plus pour longtemps. La sécurité était assurée par des protections en barbelés et une section canine, de voir ces beaux bergers allemands, me donnait envie de les caresser.

 

Je me renseignais alors pour connaître leur comportement, aucun risque, je pouvais même en prendre un et aller me promener avec lui dans la base. Nous fûmes plusieurs à le faire et un copain se trouvera un peu couillon. Il prit une chienne par le collier, la sortit de son enclos, et essaya de lui mettre sa laisse. Mais il n’en eut pas le temps. Dès que la porte fut ouverte elle se barra. Tout penaud, il alla trouver le responsable du chenil et lui conta ses ennuis. Quand il expliqua le problème, le responsable ne fut pas étonné, c'était la seule qu'il ne fallait pas prendre ! « Ah, pour celle-là, j'aurais du vous prévenir, dès qu'elle le peut, elle se cavale, je vais téléphoner à la base américaine mitoyenne et séparée de la nôtre par un mur de 2 mètres 20, elle est championne de France avec 2m40. On la retrouve toujours chez les américains. Il y a 2 mois, ils ont eu un coup dur, leur capitaine d'armes un MP fusco a voulu tester les chiens qui circulaient la nuit en permanence sur un chemin de ronde grillagé, lâchés toutes les 2 heures, 2 par 2. Il s'était mis des vêtements arabes déjà portés pour l'odeur, il pénétra sur le chemin de ronde, les chiens le tuèrent et l’ont même déchiqueté. Ils n’étaient entraînés que pour cela et même s'il leur avait parlé en français cela n'aurait certainement pas suffi.

 

En rentrant de cette tournée, l'Egypte et Israël se tapèrent dessus et de bon cœur. La France et l’Angleterre entrèrent  dans le conflit, le sous-marin la Créole fut envoyé sur place. Il échappa de justesse au tir de notre aéronavale qui l'avait pris pour un sous-marin égyptien. Nous fûmes désignés pour le relever et partîmes sur Bizerte avec 6 torpilles de combat (Ce n'était plus de la rigolade !). Nous y restâmes un mois, entre temps les russes et les ricains nous obligèrent à nous retirer du conflit pourtant Nasser était en train de prendre une bonne rouste.  Heureusement que nous n'avions pas eu besoin de nos torpilles car on ne fit que les sortir des tubes pour les réparer. Tous les jours, il y avait un incident sur l'une ou l'autre. Le service torpilles en a bavé avec ces grenouilles. Rentrés à Toulon, on n’a même pas pu faire une fiesta, le temps de débarquer les torpilles et direction Lorient sans escales pour le grand carénage.

 

 

[ Le carénage 1956-1957 ]

 

Lorient, base sous-marine, construite durant la guerre 1939/1945 par les allemands, servit aux carénages de leurs sous-marins. Les alvéoles, qui les abritaient, étaient protégés des bombardements par des toits en béton de 4 mètres d'épaisseur. Pour les réparations, les sous-marins étaient hissés à terre sur des chariots roulants (appelés slips) et glissés sous les alvéoles bétonnées, nous profitions donc de ces installations. Depuis 3 mois les anciens nous serinaient sur cette ville, ils s'étaient presque tous mariés lors du précédent carénage et pariaient que nous ferions de même. Les pompons rouges étaient bien vus dans le pays et il était plus facile qu'à Toulon de trouver une fille. Le lieu de chasse était le bal du samedi soir  « CHEZ NEDO » ou Nedellec. C’était un petit bal pince-cul dans des baraques en bois, Lorient avait été rasé durant la guerre et en 1957 tout n’était pas encore reconstruit. Il y avait encore des gens qui logeaient dans des baraquements en bois et l’on voyait des cratères de bombes un peu partout.

 

La carrée à Lorient (1954-1955) Banana story Le grand carénage de 1954-1955
(Collection Claude Blondel 1952-1955) (Collection Claude Blondel 1952-1955) (Collection Claude Blondel 1952-1955)

 

Je n’étais pas danseur et ne passais chez Nedo que de temps à autre lors de ma sortie mensuelle pour un bon gueuleton et finir au port de pêche à 10 minutes de la base, il faut dire que je subventionnais aux études du frangin et que je ne roulais pas sur l'or. Nous étions 4 ou 5 dans ce cas. Nous avions un foyer avec billard, cinéma, bibines, etc. Cela me suffisait amplement. Les filles qui n'avaient pas trouvé preneur, dès l'arrivée d'un nouveau bateau, se refaisaient une nouvelle virginité et essayaient d'alpaguer un mataf et de l'amener à la maison. Il y avait un esprit parental qui poussait un père à dire : « Marie-Janick amène le pain, le beurre et un couteau pour manger avec ! », avec l'accent breton bien sûr, termes qui servaient d’accueil au nouveau après les anciens bien entendu. Nous avons eu quatre mariages en vue à la redescente sur Toulon et en fin de compte deux seulement se firent. Pas un raz de marée, comme le prévoyaient les anciens.

 

Sur le retour nous fîmes escale à Huelva au sud de l’Espagne. J’y ai visité Séville en longeant le Guadalquivir. J’y ai vu ma première corrida. Après, nous nous sommes amarrés à notre vieux Béarn. Je loupais une belle tournée aux Baléares pour cause de cours d'écouteur sous-marin encore des points à engranger et surtout l'étoile rouge d'écouteur. Mais j'avais l'occasion d’engranger souvent des points pour passer quartier-maître chef, grade qui m’apporterait presque double paye !

 

 

[ Les incidents ] 

 

Nous fîmes avec l'Astrée une croisière ENSM, pas de chance ce fut la Corse avec Bastia et Ajaccio, puis Alger. Le cours de sous-marinier durait 4 mois et à l'issue, il y avait une semaine de mer pour mise en application de la théorie. Pendant cette croisière, ,j'ai eu la plus mauvaise mer de ma carrière, enfin quand je dis mauvaise, c'est uniquement de par sa force, Dix mètres de creux, nous ne faisions que 4 mètres au dessus de l'eau. Le sous-marin était un vrai bouchon, parallèle à la lame, il restait sur le côté et on avait l'impression qu’il ne se relèverait pas. C’était impressionnant, on pouvait marcher sur les cloisons latérales et les batteries se déversaient. Dés la sortie de Bastia on a eu ce temps et ce jusqu'à Alger. Nous avons manqué de perdre un veilleur, le QM P... fut projeté par dessus la passerelle et retomba par chance dans la deuxième barbette de 20mm. Il put s'accrocher et nous le remontâmes. A partir de ce moment, le pacha prit la décision de mettre à la cape, c'est à dire naviguer face à la lame et d’attacher l'officier de quart et mettre un seul veilleur. Comme on embarquait une tonne d'eau à chaque vague, il décida de fermer le panneau d'accès à la passerelle qui ne serait ouvert que pour les changements de quart. Je fis le plus beau quart de ma vie, un 0 à 4. Nous étions en été et à poil sous nos parkas. Quand nous sommes montés l'officier de quart et moi, nous avons ouvert le panneau et avons reçu notre première douche. Nous nous sommes amarrés comme nos prédécesseurs qui accompagnés d'une trombe d'eau redescendirent en fermant le panneau et nous voilà partis pour 4 heures de quart. C'était une nuit de pleine lune, les lames étaient très hautes et lorsque nous chevauchions une lame et plongions dans la suivante, c'était magnifique. La lune était face à nous, on y voyait presque comme en plein jour. Je pouvais voir ce long cigare de 80 mètres monter à la lame puis la descendre et plonger dans celle qui arrivait. Elle nous masquait la lune mais nous la voyons à travers la masse d’eau. C’était magnifique, toutes les deux lames nous avions droit au spectacle, nous  avions le temps de bien regarder car de l'avant à la passerelle il y avait 40 mètres et nous étions à une vitesse minimale, le seul inconvénient c'est qu'à chaque piqué la vague nous plaquait au parquet. Nous arrivions à nous caler pour que ce soit moins pénible et à chaque fois nous étions obligés de retenir notre respiration. Le temps de traverser la vague durait trente secondes, la relève serait la bienvenue mais j’étais content d'avoir vécu cela. Moi, qui étais toujours malade, pour une fois j'ai étalé et même mangé, nous n'étions qu'une dizaine au repas de midi sur tout l'équipage. Nous sommes arrivés à Alger avec 24 heures de retard sur le programme.

 

Nous avons appareillé presque aussitôt, faisant un lancement de torpille avec repêchage et sommes rentrés au port pour nous préparer pour un second lancement. J’ai vu Alger avec une paire de jumelles. Voilà les tournées faites avec l'Africaine au cours de mes trois ans d’embarquement.

 

Il y eut des sorties mémorables qui sur le coup ne nous laissaient pas de souvenirs vu l’état général du marin, mais le lendemain en se remémorant quelques détails marquants, nous nous apercevions que nous en avions fait de belles. Par exemple, une sortie à onze à Chicago (quartier chaud de Toulon à l’époque), nous étions dans un bar, il faisait un orage, c’est pourquoi nous étions dans le bar pour ne pas nous mouiller à l’extérieur tout en humidifiant l'intérieur. Alors qu’il tombait des cordes, nous sortîmes tous dehors et alignés au bord du trottoir nous lavâmes nos blancs avec un savon piqué aux toilettes. Après rinçage, nous sommes rentrés et avons pris les filles sur nos genoux. Elles n’étaient pas très contentes d'avoir les fesses au frais, mais boulot - boulot, du moment que le mataf boit, le patron se fout du reste !

 

Sortie à Chicago avec en tête
M. Quatrevaux et J-M Colin
Dans un bar de Chicago (Toulon)
(Collection J-M. Colin 1955-1958) (Collection J-M. Colin 1955-1958)

 

Nous étions sortis une dizaine à Casablanca accoudés au comptoir. A. L... ayant envie de pisser eut la flemme de se déplacer. Il baissa le pont, dégaina et lansquina contre le bar. Nous voilà une dizaine à faire de même, personne ne broncha de peur d'une bagarre. Il arrivait, selon le degré éthylique qu'une simple réflexion déclenchait la mise à sac du bar. Il y en eut bien d'autres, une descente de !a citadelle de Calvi dans les figues de Barbarie. Ouille ! Ouille ! Ouille !

 

A part une tentative d’assassinat, je n'ai conté que des bonnes choses, passons sur ce qui fâche. Pourtant, une affaire d'endoctrinement mettra le bord en ébullition. Deux QM électriciens, L... et F... étaient communistes. Personne ne le savait à bord, leurs propos laissaient deviner leur opinion sans plus. Moi-même, je l’étais, mais motus il n’était pas question pour moi de le faire savoir. Je l’étais de coeur et par mes origines depuis l'âge de 12 ans. Dans la Marine, il était interdit d'être coco. Les journaux du parti n’étaient pas autorisés dans les arsenaux et encore moins à bord. On pouvait encore lire partout sur les murs en France« Libérez Henri-Martin ! », un Second Maître qui était en taule pour avoir saboté un bateau qui partait en Indochine avec des troupes à bord, donc communisme était synonyme de « verbotten ».

 

Nos deux zouaves de QM, plutôt que de rester peinards, se mirent à endoctriner les jeunes, un beau jour et on a jamais su le fin mot de l'histoire, la sécurité arriva à bord au moment de l'appel << Tout le personnel à la carrée ! ». La fouille des caissons commença et évidemment, ils trouvèrent des bouquins de Marx et d'autres. Les deux protagonistes de l'affaire, voyant qu'ils étaient cuits eurent le temps d'épingler la carte du parti sur leur vareuse. Ils furent virés de la marine, après un mois de taule. Les jeunes ne furent pas inquiétés. Ils subirent un lavage de cerveaux par les autorités du bord et l'affaire en resta là. Je ne fus pas inquiété, faisant gaffe de n'en pas parler.

 

Un grave accident de personne, nous arriva à Calvi. Le pacha autorisa la baignade, normalement à partir du pont mais beaucoup aimaient plonger. Enfreignant les ordres, ils montaient à la passerelle, grimpaient sur une petite plateforme de 20 cm sur 20 cm se trouvant à l'extérieur et hop tête la première dans la flotte. Avec un plongeon de 4 mètres plus la hauteur du bonhomme, il fallait se jeter en avant pour éviter de tomber sur les ballasts. Un électricien L..., dérapa au départ, heurta avec sa tête le ballast, coula aussitôt et se retrouva sur le fond à 10 mètres. Plusieurs d’entre nous le voyaient allongé de tout son long, l’eau était très claire, bons plongeurs ils essayèrent de le joindre mais n’y réussissaient pas. Heureusement, son chef le SM R.V..., plongeur à bord, montait avec ses palmes. Prévenu de ce qui se passait, il fixa ses palmes en vitesse et le remonta du premier coup. L’immersion dura 3 minutes, les pompiers de Calvi furent prévenus, mais en attendant, nous l’avions allongé sur le pont et allions commencer les mouvements respiratoires quand il revint à lui. En fait, c'est beaucoup dire, disons qu'il eut des convulsions, qu'à quatre, un par chaque membre, nous eûmes du mal à le contenir. Les pompiers arrivèrent et le mirent en réanimation et dans l'heure qui suivit il fut transporté par voie aérienne jusqu'à Nice. Heureusement pour lui, il s'était assommé ce qui lui avait évité de remplir ses poumons de flotte. Il avait le crâne ouvert sur plus de 10 cm et nous avions peur qu'il eut une fracture. En réalité, il n'était pas tombé à plat sur le ballast, mais sur la partie bombée. Inutile de dire que la baignade se termina illico. C’est le seul pépin où j'ai eu à intervenir pendant toute ma carrière.

 

Pour l'Africaine elle-même, à part quelques petites voies d'eau et l'incendie d'un petit moteur électrique, rien de grave à signaler. Cependant par deux fois, des événements extérieurs auraient pu nous valoir la citation « Mort pour la France ». Le premier, nous remontions à 13 mètres pour reprendre la vue, le tour d'horizon à l'écoute effectué n’avait rien signalé, le pacha sortit le périscope et commença un tour d'horizon, toujours par l’avant, et il vit un escorteur fonçant sur nous. « 30 mètres rapides, moteurs avant 4 ! (et bien distinctement : maman, maman... » Rien que l'ordre 30 mètres rapides impliquait de prendre une pointe maximum. J'étais au poste avant et me demandais pourquoi nous prenions une pointe pareille, alors que l'instant d'avant elle était dans l'autre sens. Je n'ai pas eu le temps de réfléchir, j’entendis un bruit énorme d'hélices qui nous passaient juste au-dessus, pourvu qu'il ne touche pas le kiosque. Non, c'est comme l'orage, quand on entend le tonnerre c'est que la foudre est déjà tombée ! Nous avions eu chaud et après coup les chocottes. Il était passé à 2 ou  3 mètres du kiosque.  Quand à l’écouteur, il n'avait rien entendu. Il y a une explication au phénomène, comme l'escorteur venait droit sur nous à grande vitesse son avant aurait masqué le bruit des hélices. Ouf, on s'en était sorti, c'était le principal !

 

Le deuxième relève de l'impensable, nous stoppions en pleine Méditerranée un après-midi pour faire une baignade en mer qui était d’huile, même pas une vaguelette. A l'horizon, des bâtiments de guerre américains, tout le monde était à l'eau, même moi qui savais à peine nager. Je me tenais à l'aussière mise en position de sécurité le long du bord, tout à coup à  1.000 mètres de nous une gerbe d'eau est signalée par le veilleur en passerelle, que se passe-t-il ? Peut être des cachalots qui soufflent ! Le pacha est averti et grimpe au kiosque. Une deuxième gerbe, cette fois à 500 mètres et on entend des bruits de canon. Les ricains nous tiraient dessus, « Tout le monde à bord, prendre la tenue de veille ! » Rapidement, en moins de 5 minutes, nous fûmes prêts. « Alerte ». La troisième salve tomba à 200 mètres, nous disparûmes de la surface.

 

A la prochaine, nous étions bons. Mais, ce ne fut pas fini car les ricains s’apercevant de leur méprise en regardant leurs ordres d'exercice, virent qu'ils avaient fait feu sur le sous-marin l'Africaine en transit dans le secteur, tout bateau de guerre allié était au courant des mouvements de bâtiments en Méditerranée. Croyant nous avoir coulé, ils vinrent vers notre secteur pour nous rechercher mais nous pensions l'inverse et nous faisions tout pour les éviter, nous réussîmes à les semer et à la nuit nous refîmes surface. Nous pouvions ainsi prévenir la base de cet incident, nous sommes restés sur les lieux et au matin il n’y avait plus personne à l'horizon. Le pacha décida de sillonner le secteur où l'incident s'était produit et bien lui en a pris car nous retrouvâmes flottant au gré des vagues des douilles en cuivre des obus américains, nous en avons récupéré plusieurs comme preuves. Après être rentrés à Toulon, nous apprîmes que nous avions fait la Une des journaux français. Ma Maman me fit parvenir L'Est Républicain où l’on pouvait lire « Des bâtiments américains tirent sur le sous-marin l'Africaine qui réussit à plonger ». Les américains prétextèrent qu'ils devaient couler un de leurs vieux remorqueurs pour un exercice réel et qu'ils nous avaient pris pour lui. Avant la baignade, il n'y avait pas de remorqueur entre eux et nous. La version exacte des faits ne nous a jamais été communiquée ! Le pacha fit graver une douille par l'AMF (Atelier militaire de la flotte) « En souvenir de l'Africaine avec la date » et la fit expédier à l'amiral de la 6ème flotte basée à Naples. Celui-ci n'apprécia pas la plaisanterie et le pacha fut appelé par le haut commandement de Toulon pour une bonne engueulade. Pour une fois nous fûmes tous d'accord avec !e « Guerrier » !

 

Pagèze - Nollot - Bouyer Bouyer - Barate
(Collection J-P Nollot 1955-1958) ((Collection J-P Nollot 1955-1958)

 

La Marine a commencé à évoluer en 1957, nous pouvions nous mettre en civil à terre, ce qui nécessitait d'avoir un endroit pour se changer mais en même temps elle nous donnait le droit de découcher, ce qui faisait que nous nous mettions à plusieurs pour louer une piaule en ville. La première sera à la Seyne, c’était un peu loin mais nous étions en dehors du milieu de la Marine et les loyers étaient moins chers. La desserte par car était correcte, nous étions quatre, comme il y en avait toujours de service, au pire nous étions trois à dormir ensemble. Mais à l'époque on n’entendait pas parler d’homosexualité, c'était tout à fait normal pour tout le monde, que les marins soient plusieurs ensembles pour les sorties. Chacun allait ensuite de son coté, N... et C... sortaient ensemble et de temps à autre je faisais une sortie à Chicago avec B... dit « Minoï »  qui était de père français et de mère chinoise donc eurasien. Il me fit apprécier la cuisine chinoise.

 

[ Note de Noël Bouvet : En annamite, Minoï = Chéri , Roland avait beaucoup de succès auprès des dames !]

 

J’avais mon quartier général à la Frégate sur le port et quand j'avais le week-end complet, je menais une vie tranquille presque à la campagne. La piaule était dans un quartier retiré et possédait  un petit jardin fleuri.

 

Le 1er juillet 1958, je quittais ce fier vaisseau pour rallier le cours de quartier-maître avec l'espoir d'un réembarquement prévu par le bord. Avec le recul du temps, cet embarquement reste le mieux ancré dans ma mémoire, sans doute parce que c'était le premier, un vieux sabot d'avant guerre. Pour ce cours, j'avais du me battre avec l'état-major qui voulait me garder encore un an mais çà ne m'arrangeait pas pour mon avancement. Je leur ai fais comprendre que mon embarquement de trois ans se terminait et qu'en allant au cours, je pouvais repartir pour trois nouvelles années. Je ne me rappelle plus la date mais quelque temps après mon départ l’Africaine a failli couler en plongée normale. Les rivets du kiosque ont sauté provoquant une importante voie d'eau. Ils ont réussi à s'en tirer mais de ce jour après la réparation, elle ne plongeait plus qu'à 30 mètres. Les sous-marins neufs sortaient comme des petits pains et ce vieux sabot fut mis à la ferraille au début des années 60.

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[ Précisions de Noël Bouvet :

 

 D'après le rapport du commandant de l'Africaine, le LV Fleuriot de Langle, au capitaine de frégate commandant la 1ère E.S.M., ce ne sont pas les rivets du kiosque qui sautèrent le 24 mars 1960, mais les soudures des six goussets tribord qui lâchèrent au cours d'un exercice exceptionnel de plongée à - 100 mètres de profondeur au lieu de - 80, pour tester les silencieux. Ces goussets maintenaient le kiosque à la coque épaisse du sous-marin à laquelle il était rivé par ailleurs. Grâce au sang froid du commandant et de son équipage, le sous-marin fut ramené rapidement à la surface. Il n'y eut que 300 litres d'eau embarqués par une voie près du sas de 20 mm. Cet exercice eut le mérite de faire découvrir une faille qui évita une catastrophe, prévisible à moyen terme, à des profondeurs moindres atteintes sans précautions particulières, car l'expertise montra que certaines soudures des goussets avaient déjà lachées bien avant cet exercice.

 

Lors  d'une initiative personnelle ridicule, en novembre 1957, un officier bloqua volontairement l'indicateur principal du Central alors que la consigne était de maintenir une navigation  à - 30 mètres. Il voulait mettre à l'épreuve l'attention des barreurs. Mais, appelé pour un problème, il s'éloigna et oublia. Fort heureusement le commandant découvrit au manomètre du kiosque notre profondeur réelle et demanda au patron du Central de lui indiquer la profondeur. Ce dernier, en se retournant s'aperçut  au manomètre de secours situé dans son dos, ainsi que dans ceux des hommes qu'il surveillait, que nous étions à - 120 mètres.  Plus un sous-marin descend, plus la pression déforme sa coque et plus rapidement il descend, encore et encore, si aucune correction n'est apportée.

 

La sanction, pour le fautif, ne fut apparemment qu'une bordée d'injures du pacha délivrée devant l'équipage... Mais sans la vigilance du commandant nous aurions tous péris !

 

 

NOMS DES COMMANDANTS SUCCESSIFS DE L'AFRICAINE :

 

1) LV     JAHOUNEY                                    du 01/02/1947 au 21/05/1949

2) LV     SABBAGH                                       du 22/05/1949 au 02/07/1951

3) LV     CHENEY                                         du 02/07/1951 au 26/09/1953

4) LV     PIERI                                              du 26/09/1953 au 01/04/1955

5) LV    SCIARD                                           du 01/04/1955 au 01/10/1956

6) LV    ASSELIN DE WILLIENCOURT     du 01/10/1956 au 05/10/1957

7) LV    DARODES DE TAILLY                   du 05/10/1957 au 05/04/1959

8) LV     FLEURIOT DE LANGLE              du 05/04/1959 au 26/11/1960

9) LV    DELOINCE                                    du 26/11/1960 au 31/07/1961]

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